Que ce soit en Tunisie, au Maroc ou en Algérie, l'image représentant la femme au Maghreb souffre d'un grand écart qui la mine entre ses aspirations à la modernité et la médiocre réalité ambiante. L'image de la femme au Maghreb est le titre du livre de Khadija Mohsen-Finan, édité aux Editions Barzakh et Actes Sud. La femme est un prisme éloquent pour parler des sociétés du Maghreb. Mais ce prisme est trop souvent déformant. La journaliste et historienne Zakya Daoud, décrit cette image qui est construite par les médias au Maroc tandis que son confrère tunisien, Hedi Khelil, dévoile son image telle que véhiculée par le cinéma en Tunisie. Enfin, la journaliste algérienne, Ghania Mouffok, rapporte en menu détail et notamment en chiffres, articles, description et photos à l'appui, comment la presse écrite en Algérie rend compte de la femme. «Une étude méditerranéenne» en somme, qui tente de comprendre ce qui se joue véritablement autour de la place des femmes dans les trois pays du Maghreb et de la question taboue afférente au sexe dans la famille patriarcale. «Loin des approximations et des lieux communs, il importe d'aller au plus près afin de décrypter comment les femmes vivent au Maghreb et quels sont les récits et les légendes qui fabriquent nos représentations. La question religieuse, celle du voile ou du terrorisme a eu tendance à saturer le regard, notamment européen, d'émotions qui font écran et empêchent de voir, d'une rive à l'autre de la Méditerranée, la complexité des sociétés maghrébines où les femmes jouent un rôle éminent», explique l'éditeur en présentation de l'ouvrage..«l'évolution de la condition féminine parait aujourd'hui encore déterminante pour comprendre les mutations en cours dans les sociétés de ces pays», note-t-il encore. Aussi, dans les années 1980, l'image de la femme «émancipée» ne vient plus exclusivement de l'Europe, comme le montre Pierre Vermeren, mais aussi des pays orientaux comme l'Egypte. Zakya Daoud estime que l'image donnée par les médias de la femme est différente, et la lecture de la presse marocaine ne rend pas compte de la réalité. Pour Hedi Khelil qui s'attache à la manière dont l'histoire des femmes est racontée par les films de son pays, le «cinéma arabe a toujours mis l'accent sur la cassure qui affecte les corps, les consciences et les relations humaines». Il dit également qu'il ne faut pas se fonder sur le regard cinématographique pour apprécier réellement l'image de la femme tant le cinéma tunisien «entend changer l'état d'esprit des gens et plaider en faveur de l'égalité des sexes». Il y a ici une certaine «incohérence» notable qui est soulevée et qui reflète cet écart qui existe entre les velléités libératrices de la gent féminine dans le cinéma tunisien et la réalité. En effet, révèle-t-on là encore: «La représentation de la femme dans le cinéma tunisien a été à l'avant-garde de la cause féminine.» De nombreux films sont donnés comme exemples: Sous la pluie (1970 de Ahmed Khechiche, Hurlements (1972) de Omar Khelifi et plus tard Fatma et Aziza, notamment de Abdelatif Ben Ammar et Bent Familia de Nouri Bouzid ou encore Les silences du palais de Moufida Tlatli etc. Pour le Maroc, malgré son image de «pays de femmes» et ses aspirations au modernisme, beaucoup reste à faire car il ne vient qu'à la 4e place des pays arabes où les femmes siègent au Parlement.Cependant, elles sont partout quand il s'agit de l'activité culturelle, dont le cinéma, la communication... Un bémol, toutefois est apporté par Zakya Daoud qui affirme que la société marocaine «bouge mais résiste au changement». Et de renchérir: «Schizophrénique, la société marocaine est aussi de plus en plus violente». Et d'illustrer son argumentation par des chiffres effarants concernant la femme battue. Pour sa part, Ghania Mouffok, dans son étude portant sur les femmes algériennes dans la presse écrite, affirme que celles-ci sont le plus souvent réduites à «des objets d'histoire mais jamais des sujets». Aussi, elle illustre son propos par des extraits d'articles de journaux faisant référence à la femme violentée, et comment elle est représentée dans l'inconscient des Algériens via des photos - qui accompagnent les articles - légendées autrement dit, des femmes soumises à la brutalité comme une fatalité naturellement induite. Ghania Mouffok évoque bien évidemment et sans trop s'attarder, les méfaits du Code de la famille qui «violente la femme et non pas l'homme». Aussi, est-il expliqué dans l'ouvrage de Khadija Mohsen-Finan que les femmes diplômées - dont beaucoup de nationalistes - constituent un barrage ou un défi aux islamistes. Mais si les choses ont évolué, beaucoup reste encore à faire aussi, ne serait-ce que sur le plan des mentalités. Et cela reste un long combat...