Le rôle et la place d'un think-tank dans les pays du Maghreb » est le thème d'une conférence-débat animée, hier, à l'Ecole supérieure algérienne des affaires (ESAA) par Khadidja Mohsen Finan, enseignante-chercheuse à l'Institut d'études politiques de Paris et coordinatrice du programme « Relations entre l'UE, le Maghreb et l'Afrique ». Dans son intervention, Mme Mohsen Finan a imputé l'inexistence de think-tanks au Maghreb au sens où cette notion est généralement utilisée aux Etats-Unis ou en Europe en soulignant le fait, notamment, qu'il n'y pas à proprement parler en Afrique du Nord d'espaces publics en mesure de relayer des débats susceptibles d'influer sur les politiques publiques. Si la nature autoritaire des systèmes politiques de la région et la mauvaise qualité de l'enseignement est présentée comme l'un des principaux obstacles à l'émergence de véritables think-tanks, il reste que la conférencière a beaucoup insisté sur l'idée que les Etats du Maghreb fonctionnent selon des schémas hérités de ceux en usage en France, un pays où l'Etat et la haute administration ne font pas confiance à la société et où tout est concentré entre les mains des fonctionnaires. « Contrairement au monde anglo-saxon où il y a une négociation et un rapport de force entre l'Etat et la société, en France, on part du principe que les idées ne se vendent pas mais s'échangent et que le bien public et l'intérêt général viennent uniquement de l'Etat », a relevé Mme Mohsen Finan. Elle fera d'ailleurs savoir qu'en plus d'être peu nombreux, les think-tanks français disposent de moyens financiers plutôt modestes – l'Institut français des relations internationales (IFRI) ne dispose que d'un budget annuel de 6 millions d'euros – comparativement à leurs homologues britanniques ou américains qui, souvent, bénéficient de plusieurs dizaines de millions de dollars. Malgré ces multiples inerties, Mme Mohsen Finan relèvera tout de même que le Maroc dispose d'une longueur d'avance sur ses voisins magrébins dans la mesure où « ce pays, qui est connu pour son effervescence intellectuelle, a créé son espace public et dispose d'idées publiques ». Néanmoins, elle a noté une tentation récurrente des élites ou des animateurs des think-tanks marocains de se rapprocher des décideurs. « Cette réalité ne peut se nier. La ligne est très mince entre les deux », indique Mme Mohsen Finan, avant de préciser que nombreux sont les établissements au Maroc, en Tunisie ou en Egypte qui se présentent comme des think-tanks alors qu'ils n'en sont pas en réalité. Les think-tanks, poursuit-elle, occupent les devants de la scène dans le but uniquement d'accréditer l'idée que les pays où ils sont installés ont accédé à la modernité politique. Sur ce point, la conférencière a insisté sur l'idée que la raison d'être d'un think-tank n'est pas de soutenir la politique d'un gouvernement ou d'aller dans le sens du poil, mais d'être autonome et d'entretenir une « distance » avec les pouvoirs en place. Pour elle, un think-tank doit avoir une attitude résolument engagée et faire en sorte non seulement qu'il y ait un débat, mais que ce débat soit pris en compte par les décideurs. A mentionner qu'il existe actuellement près de 5000 think-tanks dans le monde, dont près de la moitié se trouvent aux Etats-Unis. A titre d'exemple, la Brookings Institution,un think-tank américain basé Washington D C, spécialisé dans la recherche sociale, dispose d'un budget annuel de 60 millions de dollars. Il est sans doute utile de mentionner que la conférence animée par Khadidja Mohsen Finan a été organisée par le Cercle d'action et de réflexion autour de l'entreprise (CARE), en partenariat avec le journal les Afriques et avec l'appui de la fondation Friedrich Naumann.