Le problème des Palestiniens signifie que le monde dominant refuse le vrai débat et encourage la violence. Elle était belle cette image du pape portant le kefeih, foulard palestinien offert par une jeune chrétienne arabe. On aurait cru rêver. Un premier symbole, signe que le pape n'oublie pas les déshérités et opprimés. Les trois premières journées du voyage délicat de Benoît XVI au Moyen-Orient ont été une réussite. Sa présence à la Mosquée Hussein était aussi un moment fort. Les Jordaniens et leur hôte du Vatican, dès les premières prises de parole, ont su trouver les mots justes pour rappeler combien il est non seulement nécessaire de dépasser les malentendus, de vivre dans le respect de l'autre, mais que cela est possible, comme le démontre la réalité à Amman et dans d'autres pays arabes. Il n'y a pas d'alternative au vivre-ensemble Trop de préjugés et de calculs politiciens empêchent de voir que le vivre-ensemble est une réalité historique depuis très longtemps. Ce sont les interférences de notre temps qui perturbent. Le pape et nos amis chrétiens doivent savoir qu'il s'agit d'une confrontation entre la sauvagerie et la civilisation. Les réactions parfois aveugles de la résistance palestinienne ne doivent pas cacher la réalité monstrueuse du système colonial israélien. La colonisation se poursuit, les actes de guerre continuent, l'impunité de l'entité sioniste s'aggrave et personne ou presque ne proteste énergiquement et n'agit concrètement pour faire pression. La trahison, l'hypocrisie, la désinformation battent leur plein, sous prétexte de realpolitik, dans un monde où la question de la démocratie est incontournable. Les relations internationales ne sont pas démocratiques. Les pays arabes archaïques, dans une situation pathétique, acceptent les faits accomplis et sont humiliés. Pourtant, la cause est juste et concerne toute l'humanité. L'amitié entre les peuples et les communautés devrait être le but de tout citoyen éclairé. C'est un devoir. Eduquer, informer, se cultiver est la tâche de toujours pour faire reculer les violences. De notre point de vue, et celui de nombreux historiens chrétiens et musulmans, c'est grâce aux principes et à la culture de l'Islam dominant que perdure depuis 15 siècles le christianisme en Orient, dans toutes ses composantes. Si une autre religion était dominante, dans cette région pas comme les autres, la diversité des cultes n'existerait peut-être plus. C'est ce fond que l'on doit garder en vue, par-delà des hauts et des bas...Si depuis 15 ou 20 ans les minorités chrétiennes souffrent ou s'exilent, c'est dû surtout aux problèmes politiques imposés à tous par des puissances étrangères. Politiquement, depuis 5 siècles ce sont les peuples musulmans (et partant leurs frères arabes chrétiens avec eux) qui subissent colonisation, domination et hégémonie...leurs réactions à cette situation est parfois négative et irrationnelle, mais l'extrémisme et le désespoir se nourrissent des injustices et des ignorances. Dialoguons et essayons de contribuer au règlement des causes des impasses, c'est-à-dire les injustices! Se voiler la face, ou renvoyer dos à dos l'oppressé et l'oppresseur, est voué à l'échec. Il n'y a pas d'alternative au vivre-ensemble. Les musulmans de leur côté doivent assumer leurs responsabilités afin que l'Islam de toujours, celui de la coexistence et du sens de l'ouvert, soit retrouvé, et non point l'instrumentalisation de la religion et sa version fermée qui font tant de ravages et défigurent la spiritualité. L'immense majorité des musulmans n'est pas dupe et reste attachée à la civilisation. La rencontre avec l'autre est une expérience salutaire pour travailler à réinventer une civilisation commune qui nous fait défaut aujourd'hui. Les faits historiques montrent que c'est possible. Nous avons, croyants et non-croyants, une responsabilité commune à l'égard de la survie même de l'humanité. Les injustices, c'est d'abord le fait que depuis soixante ans les Palestiniens voient leurs droits légitimes niés et leur dignité bafouée. Des accords de «paix» d'Oslo aux différentes négociations, les Palestiniens n'ont rien obtenu, ils vivent dans un camp de concentration. La ville sainte de Jérusalem, El Qods, est bafouée et meurtrie à cause de la soldatesque israélienne et la colonisation rampante. Israël passe son temps à gagner du temps, réprime les Palestiniens, multiplie les assassinats de civils palestiniens, détruit les infrastructures, poursuit sans cesse les colonies de peuplement et radicalise sa politique du fait accompli, assuré de l'impunité, avec la complicité des grandes puissances. Il y aura de l'espoir le jour où les sociétés arabes se réformeront et s'allieront avec tous les pays épris de droit pour faire reculer à la fois, la domination du Nord sur le Sud, la loi de la jungle et les extrémismes de tout bord, qui sont un désastre pour les peuples. Le monde est dans une impasse sans précédent. Les extrêmes se nourrissent, la crise économique et morale bat son plein, et la politique des deux poids, deux mesures s'amplifie. Le problème des Palestiniens signifie que le monde dominant refuse le vrai débat et encourage la violence. C'est une question politique et non religieuse. Depuis sa création Israël viole le droit international, les résolutions des Nations unies et méprise les condamnations de la communauté internationale. Après la guerre de 1967, elle multiplie la colonisation. Au mépris de la morale, des conventions de Genève et des principes des droits de l'homme et des peuples, Israël dans les faits, tue des Palestiniens, sabote toute possibilité d'un Etat palestinien et pousse des groupes à commettre des attentats suicide. Il manipule, opprime et rend impossible la solution des deux Etats. La construction d'un mur qui enferme la population de Cisjordanie et soumet la population de Ghaza à un apartheid suscite une situation de désespoir. Cette politique contredit le judaïsme et toutes les valeurs spirituelles. C'est un fascisme, allié au libéralisme sauvage. Cependant, la supériorité des armes n'a jamais mis à l'abri d'une défaite politique. C'est avant tout une guerre psychologique, une guerre de l'information qu'il faut gagner. Un mépris pour la vie Dans ce contexte, les Palestiniens sont à l'avant-garde de ce combat. Ils sont presque seuls désarmés et poussés à bout. Ils continuent cependant à essayer de défendre leurs droits légitimes. Sans la reconnaissance de leurs droits à un Etat viable dans les frontières de 1967, il n'y aura aucun avenir de sécurité ni de paix dans la région et dans le monde entier. Complices, des puissances étrangères renvoient dos à dos victimes et bourreaux et par là encouragent la politique sioniste, répressive et coloniale. Le mutisme de la majorité des intellectuels occidentaux, des humanistes et des croyants est incompréhensible. C'est un mépris pour la vie des opprimés, un acte suicidaire, car un jour, ce sera le droit de chacun à vivre libre dans le monde entier qui sera remis en cause. Cela a déjà commencé. Des signes d'européocentrisme et d'islamophobie faussent le débat et empêchent la réflexion. Ce qui se joue en Palestine concerne l'avenir de la liberté dans le monde. La mauvaise conscience des Occidentaux et les intérêts étroits qui lient Israël aux puissants bloquent toute perspective d'un nouvel ordre international juste et pacifique. Que faire pour mettre fin à cette guerre raciste qui ne sert personne, surtout en temps de crise économique qui peut aboutir à une nouvelle guerre mondiale? La fixation, pour faire diversion, sur le nucléaire iranien est symptomatique. Ce qui nous permet d'espérer, réside dans le fait que des croyants et des non-croyants continuent d'analyser le réel tragique de leur point de vue multidisciplinaire et indépendant pour s'attaquer aux problèmes créés par les injustices, les ruptures et les oppositions: comment humaniser un monde qui est en crise et violent, et qui, contrairement aux suppositions, risque de devenir encore plus violent faute de justice? L'Europe et les chrétiens et même les juifs conscients doivent assumer l'immense responsabilité historique qui est la leur dans cette guerre contre la civilisation. Les politiques en Europe et les autorités morales comme le Vatican, ont pour devoir de concilier les positions et surtout de contribuer à la décolonisation, afin que tous puissent coexister dans la liberté et la dignité. Les forces attachées à la justice dans le monde doivent protester et s'opposer à la sauvagerie d'un système qui nourrit l'extrémisme et met en péril l'avenir. La sauvagerie ou la civilisation, il faut choisir. (*) Professeur en relations internationales. www.mustapha-cherif.net