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Deuxième religion, Premier de ses soucis?
L'ISLAM EN FRANCE
Publié dans L'Expression le 20 - 01 - 2010

La classe politique française fait flèche de tout bois pour jouer sur les peurs en entretenant sciemment l'amalgame, entre l'Islam du Coran et celui d'une poignée de dangereux aventuriers.
Revenons à l'Andalousie, sans complexe, sans fantasmes, sans regret du passé. Non pas pour convoquer encore une fois Averroes, Avicenne et d'autres grandes figures de l'histoire des Arabes et des musulmans pour rappeler à un Occident un peu oublieux, leurs apports à la civilisation universelle. Mais pour dire à ceux qui l'ignorent, que durant des siècles, synagogues, églises, temples et mosquées ont célébré un même Dieu dans la fraternité et le respect. La civilisation arabo-islamique était la bienvenue en terre d'Occident, à des milliers de kilomètres de son berceau.
Elle apportait son savoir à un Occident qui en avait bien besoin et participait aux côtés d'autres civilisations au progrès de l'humanité. Les historiens pourraient nous dire aujourd'hui qui, de la décadence de la civilisation arabo-musulmane ou du rejet par l'Espagne d'une religion importée, a sonné la fin d'une cohabitation qui continue encore de nos jours, à annihiler tous les arguments spécieux qui voudraient rendre l'Islam infréquentable. Des siècles plus tard, les responsables arabes ou musulmans, enfin maîtres de leur destin et débarrassés de la tutelle des puissances occidentales, avaient espéré pouvoir revenir dans la cour de l'Occident, fiers d'un passé glorieux, forts de leurs gisements pétroliers et soucieux de rattraper le retard.
Non seulement ils ont dû déchanter, mais ils continuent aujourd'hui encore à rêver d'Andalousie et de démocratie à venir. Pour le rêve, l'Occident ne fait pas d'objection, mais pour l'avènement de la démocratie, il exige des anciens territoires sous mandat et des anciennes colonies, la réalisation en quelques années de ce que lui-même a mis des siècles à instaurer, non sans guerres et sans drames; à savoir le passage à la démocratie. D'où le subterfuge et la malhonnêteté du verdict sans appel, sur l'incompatibilité entre Islam et démocratie, quand ce n'est pas entre Arabe et démocratie.
La lente érosion de la relation entre le monde arabo-musulman et l'Occident, accentuée encore plus par la fin des empires coloniaux et l'insolence des gisements d'hydrocarbures, a atteint son point d'orgue avec le transfert de la mauvaise conscience européenne aux Palestiniens, le soutien inconditionnel à l'Etat d'Israël et la colonisation brutale, froide et méthodique de la Palestine, sous le regard complice ou silencieux de ceux-là mêmes qui célébraient hier la lutte anticoloniale au Vietnam, en Algérie et dans les anciennes colonies d'Afrique.
L'amalgame
L'irruption récente de groupes extrémistes minoritaires dans les pays musulmans, le drame du 11 septembre et la situation socio-économique catastrophique de la majorité de ces pays, ont fini de donner l'image la plus exécrable et la plus anxiogène du monde arabo-musulman. En France, on découvre brusquement le danger imminent d'un foulard arboré par quelques jeunes filles. La classe politique est mobilisée et fait flèche de tout bois pour jouer sur les peurs en entretenant sciemment l'amalgame, entre l'Islam du Coran et celui d'une poignée de dangereux aventuriers se réclamant d'un Islam inédit. Oubliée la religion qu'on a côtoyée pendant des siècles et dont on louait jadis le message de paix et l'esprit de tolérance.
La violence alors, était plutôt à chercher du côté de l'Inquisition, des Croisés et des autodafés.
Aujourd'hui, c'est à qui s'emparerait le premier dans la classe politique, de l'argument de l'Islam-danger pour mobiliser troupes, électeurs et gogos. La presse en fait son marronnier de choix car l'Islam fait vendre. Il est surveillé comme le lait sur le feu et le moindre fait divers, comme ce divorce après un mariage non consommé, mobilise jusqu'en Navarre. Pour la droite populiste, l'Islam permet un processus de mobilisation simple et efficace. Pour la droite au pouvoir il sert d'épouvantail à la veille de chaque consultation électorale. La chasse sur les terres du Front National autorise toutes les dérives. Les quelques voix qui s'offusquent du procédé, se font répondre que tout ce branle-bas est la preuve de l'existence d'un véritable débat démocratique qui nous ferait connaître l'opinion de la majorité des Français.
Les citoyens-électeurs sont mis en garde contre le risque de déstabilisation de la société française par la présence d'une religion affublée de tous les dangers. L'Islam est rendu responsable de la crise économique, de l'aggravation du chômage et de l'insécurité. C'est le message envoyé sous des formes plus ou moins claires, plus ou moins subliminales. Les propos racistes et islamophobes de responsables de haut niveau, les profanations des lieux de culte et des tombes de soldats musulmans morts pour libérer la France, rien de tout cela ne provoque l'indignation que l'on est en droit d'attendre. Pis encore, on s'est demandé si on n'allait pas vers un incident diplomatique avec la Suisse qui a osé griller la politesse à la France avec le coup des minarets.
Les arguments de la Droite et de l'Extrême-droite sont bien huilés depuis que Le Pen a trouvé le tempo. Il a fait beaucoup de petits depuis. Les médias se régalent. Chacun joue bien son rôle. Le pays finit par perdre vraiment la tête à force de reniements. La France est un «pays qui se dit laïc mais qui est resté bel et bien chrétien...et où, aux musulmans d'aujourd'hui comme aux juifs d'hier, on demande de rester invisibles». (Esther Benbassa).
L'Islam, deuxième religion de France, serait-il devenu le premier de ses soucis, loin devant le poids de la dette publique et de la question sociale? Entre ce pays et ses propres citoyens musulmans, il y a plus que du désamour. Il existe bel et bien une véritable barrière difficile à franchir pour des citoyens qui veulent vivre leur foi, sans se renier pour autant. Cette situation fait honte au pays des droits de l'homme et doit toujours être dénoncée avec force. De la même manière que doit être déplorée, dans un autre registre, la posture victimaire de ceux des citoyens musulmans qui ne font rien pour faire bouger les lignes. Disons pour faire court, que les musulmans, si tant est que le terme désigne une entité précise et homogène, ont aussi leur part de responsabilité dans l'aggravation de cette crise. Beaucoup d'entre eux sont responsables, pour ne pas avoir osé dépoussiérer des traditions et modifier des postures qui n'ont plus rien à voir avec l'évolution du monde. Ils sont responsables parce qu'ils ont une vision déformée ou incomplète de leur religion et qu'ils continuent de véhiculer des stéréotypes relatifs aussi bien à ceux des autres religions qu'à la leur.
Déni de justice
Rien d'étonnant dès lors, lorsque certains d'entre eux, même s'ils sont une minorité, succombent à la tentation de tourner le dos au modèle de modernité qui leur est proposé. Ils le font parce qu'ils sont persuadés de n'avoir d'autres choix que de revenir aux temps de la révélation coranique; aventure qui trouve de plus en plus d'adeptes, notamment chez les jeunes dits salafistes, lassés d'attendre un avenir qui ne vient pas. La société arabo-musulmane, engluée dans des difficultés existentielles, refuse de se remettre en question et s'avère incapable d'introduire les réformes nécessaires, ni même de rappeler le véritable message coranique. Les musulmans, aussi bien ceux vivant en Occident que ceux vivant en terre d'Islam, sont en partie responsables des ravages causés à l'Islam.
Les premiers, ayant choisi de se libérer de la tutelle du pays des parents, éprouvent toutes les peines du monde à convaincre autour d'eux qu'ils aspirent à être des citoyens à part entière, avec les mêmes devoirs et les mêmes droits que les autres, avec les mêmes particularités culturelles que les autres religions de France, sans passe-droit ni avantages particuliers. Ils considèrent à juste raison que le partage de l'espace public commun, devrait signifier la même chose pour tout le monde; c'est-à-dire, soit la liberté de porter discrètement un signe distinctif religieux, soit son interdiction totale. Or, on constate qu'on stigmatise le foulard islamique alors qu'on ne le fait pas pour la tenue loubavitch, pourtant autrement plus ostentatoire. Le législateur est dans pareil cas soupçonné de partialité. Et quand il a la sagesse de réprimer par la loi les propos antisémites, et qu'il oublie ou refuse de le faire pour les propos islamophobes, on se retrouve à tout le moins, devant un déni de justice. Les victimes, quant à elles, n'ont ni le poids ni les moyens pour obtenir l'égalité de traitement. Sans compter que mes frères manquent sérieusement d'humour dès qu'on s'aventure sur le terrain religieux, et qu'ils auraient certainement réussi à décrisper un peu l'atmosphère s'ils avaient osé l'autodérision de «Rabbi Jacob».
Facile à dire, il est vrai, quand on sait que la crise économique les frappe plus que les autres, qu'ils doivent vivre avec les discriminations et les vexations quotidiennes, que les grands médias ne mettent jamais en avant les modèles positifs d'intégration, qu'on reproche à leurs intellectuels indépendants de ne pas se manifester alors qu'on refuse de leur donner la parole et qu'ils se retrouvent périodiquement contre leur gré, au centre des surenchères électoralistes. On ne peut pas avoir une guêpe dans son pantalon et sourire, dit le proverbe chinois. J'ajoute qu'en général, on a recours à l'autodérision quand on est sûr d'avoir les rieurs de son côté. Les seconds et particulièrement ceux des pays musulmans qui disposent des moyens nécessaires pour rétablir un véritable dialogue avec l'Occident, n'ont toujours pas pris d'initiatives dans ce sens. Si l'Eglise catholique est actuellement en retrait par rapport au magistère de Sa Sainteté Jean-Paul II, ce n'est pas tant parce que le pape Benoît XVI serait moins sensible à la question des rapports avec l'Islam. C'est probablement aussi parce que les musulmans, même s'ils n'ont pas de clergé qui parlerait en leur nom, n'ont pas envoyé les signes encourageants qui auraient permis d'avancer dans la bonne direction. Un certain nombre de signaux forts ou même symboliques, suffirait à gêner sérieusement les manoeuvres des opposants irréductibles au rapprochement entre les grandes religions et entre les peuples donc, et couperait l'herbe sous les pieds des officines racistes et islamophobes.
En effet, passé l'épisode des quelques centaines de femmes-burqas, et une fois épuisé l'arsenal qui va des minarets au mouton dans la baignoire, en passant par la casquette à l'endroit et l'abandon du verlan, il leur resterait, diraient les plus sceptiques et les plus teigneux, à interdire la circoncision au prétexte de mutilation barbare. Pour cela, je répondrais que les musulmans n'auraient rien à craindre, car les plus téméraires d'entre les ennemis de l'Islam, ne s'aventureraient pas sur ce terrain, parce qu'ils savent que les musulmans ne seraient pas les seuls concernés. Leurs cousins veillent.
(*) Cinéaste et auteur, chercheur à l'Iris Paris, dernier ouvrage paru: Catholique-Musulman: je te connais moi non plus, aux éditions François-Xavier de Guibert


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