Le projet de film sur Boumediene est au stade embryonnaire et le tournage n'aura pas lieu en juin prochain. Alors publicité ou effet d'annonce? Ce qui est sûr c'est que Vox Algérie a affiché ses ambitions et attend les conséquences du buzz médiatique qu'il a lancé, considéré par certains comme démesuré. Mais ce qui est certain est que cette affaire a relancé le débat sur les superproductions cinématographiques algériennes, dont l'une avait permis en 1975 à l'Algérie de remporter la Palme d'or, et surtout sur l'incapacité des cinéastes algériens de faire des superproductions et principalement le recours à des réalisateurs syriens ou jordaniens pour réaliser nos films historiques. Ces derniers sont considérés depuis une décennie, comme les rois des films historiques, défiant même les Egyptiens, qui avait dominé depuis les années 50, le cinéma arabe. Au moment où les producteurs et réalisateurs algériens sont en conflit avec la Télévision nationale, les réalisateurs venus du Cham s'imposent sur la scène audiovisuelle algérienne. Les Algériens sont-ils incapables de faire des films historiques pour demander l'aide des cinéastes syriens? C'est en tout cas l'avis de certains producteurs locaux qui n'hésitent pas à solliciter les services des réalisateurs venus du Cham pour réaliser des films ou des feuilletons sur des figures historiques nationales. Le premier à avoir utilisé les services d'un réalisateur syrien a été la Télévision nationale quand elle a accordé à Sami El Djoundi la réalisation d'un feuilleton sur la figure héroïque de la Révolution algérienne, Lala Fatma Nsoumer, en 2005. A l'époque, le projet avait soulevé un tollé sur la scène artistique algérienne du fait que Lala Fatma Nsoumer est une héroïne berbère et qu'il était inconcevable que l'histoire soit tournée en arabe classique avec des comédiens syriens. Mais les réactions du scénariste du feuilleton, l'actuel secrétaire d'Etat à la communication, Azzedine Mihoubi, et du producteur exécutif du feuilleton HHC avaient réussi à calmer les esprits, indiquant que les artistes algériens n'ont pas l'expérience des Syriens dans le domaine de l'adaptation historique. Résultat 80% de l'équipe du feuilleton sont syriens et que pour des raisons sécuritaires le feuilleton n'a pas été tourné dans les montagnes de Kabylie, mais sur les montagnes du Cham. Le film a coûté un budget de 1,5 million de dollars et fut vendu à plusieurs pays arabes et musulmans. Pour ces raisons bien linguistiquement politiques, la Télévision algérienne vient de diffuser sur la 4e chaîne amazighe la version kabyle du feuilleton Aadraa el djabel (la Vierge de la montagne) sur la vie de Lala Nsoumer. Mais les Orientaux continueront d'être sollicités par des producteurs algériens pour faire des films sur les figures emblématiques algériennes. Le dernier en date et qui n'a pas été encore diffusé est le feuilleton sur la vie du père du syndicalisme algérien, Aïssat Idir, dont le tournage de 18 parties du premier volet du film vient d'être achevé et qui a été réalisé par le Jordanien, Kamel Laham. Pour la productrice du feuilleton, il n'y a aucun réalisateur algérien capable de faire des films historiques en Algérie, donc il était indispensable de ramener une compétence arabe. Contrairement au feuilleton Lala Fatma Nsoumer, le feuilleton sur Aïssat Idir a été tourné en Algérie, dans la région de Biskra, avec des comédiens et une équipe technique algériens. Mais les rapports entre le réalisateur jordanien et les techniciens algériens n'ont pas été faciles. Les Syriens et les Jordaniens sont meilleurs que les Egyptiens encore plus que les Algériens parce qu'ils ont acquis des Anglais l'organisation et la rigueur dans le travail. Un producteur qui prépare un film avec les Français a affirmé qu'il n'y a pas que les maçons qui ne sont pas bons en Algérie, il y a aussi les travailleurs dans le cinéma. Djamel Bensalah, le réalisateur franco-algérien, qui a travaillé avec des techniciens algériens sur le film Il était une fois dans l'oued, avait déclaré dans la revue de cinéma que les assistants algériens étaient «fainéants et peu organisés». Cette situation nous l'avons constatée sur le tournage de Benboulaïd (l'autre figure de la Révolution algérienne) il fallait rester parfois toute une journée pour tourner une scène. Pour les producteurs occidentaux, le temps c'est de l'argent. Et pourtant, dans le staff du film, les Syriens sont également présents dans l'équipe de Benboulaïd. Yahia Mouzahem, le coproducteur est syrien et même le comédien principal du film, Hassen Kechache est d'origine syrienne. La présence des Syriens en Algérie, notamment dans l'art et la culture, a une histoire. La majorité d'entre eux sont venus dans les années 70 comme perfectionnistes linguistiques, traducteurs ou professeurs d'arabe, créant ainsi des alliances algériennes dans le domaine de l'art, de l'éducation et de la culture. Mais ce n'est pas pour cette raison que les Syriens sont aujourd'hui présents dans le domaine audiovisuel algérien. C'est en partie grâce au soutien du gouvernement de Damas et aux finances des pays du Golfe qu'ils sont devenus avec quelques Jordaniens, les champions du feuilleton historique arabe. Ils ont même réussi à pénétrer avec Bab el hara et El Malek Farouk le marché égyptien de l'audiovisuel considéré comme le plus conservateur du monde arabe. Aujourd'hui, plus 40 feuilletons syriens ont été produits et le coût moyen de chaque épisode est de 360.000 dollars. Jusque-là tolérés sur l'antenne, les artistes syriens sont vus d'un mauvais oeil par les artistes algériens, notamment après la soirée du Fennec 2009, quand ils ont décroché les prix du meilleur comédien et de la meilleure comédienne, pour respectivement le comédien Bassam Khouri et la comédienne Kind Hena. Deux distinctions qui ont provoqué un tollé au sein de l'organisation des producteurs algériens, ranimant l'hostilité envers des artistes venus d'autres pays arabes. Aujourd'hui, l'histoire algérienne est pauvre en représentations à l'écran alors que les Arabes multiplient les adaptations des figures historiques et religieuses à l'écran. C'est pour cette raison essentielle que le projet de film sur l'Emir Abdelkader est dans un tiroir. C'est même le Président Bouteflika qui veille à ce que ce projet soit adapté sur grand écran à la juste valeur de l'Homme d'Etat qu'était l'émir.