Agressions, bagarres, vulgarités et obscénités sont le lot quotidien de nos établissements scolaires. Les enseignants ont peur. Les établissements scolaires ne sont plus sécurisés. Les parents craignent pour leurs enfants. Les élèves ont une crainte viscérale des bonnes notes. Ils risquent, en les obtenant, d'être la cible des mauvais élèves. Cette fin d'année a connu des cas de violence inqualifiable dans les écoles. L'insécurité dans le milieu scolaire s'amplifie à une vitesse vertigineuse. Le phénomène ne se limite pas à une seule wilaya. Il est national. La situation est alarmante. Une virée dans l'enceinte des établissements et des discussions avec les écoliers, les enseignants, les responsables renseignent, s'il en est besoin, sur l'état de déliquescence atteint. A l'issue de nos pérénigrations dans le milieu scolaire, il s'avère qu'une réflexion profonde doit réunir tous les segments de la société et dans les plus brefs délais. La semaine dernière à Makouda, les enseignants d'un CEM ont dû se mobiliser pour quitter l'établissement et échapper aux jets de pierres des élèves qui partaient en vacances. A Boudjima, des surveillants ont été contraints d'en arriver aux mains avec des délictueux qui se sont introduits dans l'école. Dans le lycée de la même commune, des bandes de délinquants vendent et consomment de la drogue devant le portail au vu et au su des responsables dépourvus de moyens d'intervention. Quelques centaines de mètres plus loin, dans un CEM à Yafadjen, les bagarres entre bandes rivales font le quotidien. Pour un petit problème, des jeunes issus de différents villages ont préféré le régler avec des barres de fer au sein de l'établissement. A Timizart, une école a connu des affrontements d'une rare violence à la suite d'une autre altercation entre des élèves. Dans la ville de Tigzirt, le lycée Toumi n'a pas échappé à cette vague de violence où l'on assiste effarés à des batailles rangées qui s'étendent jusque dans la ville. Au lycée Amirouche de Tizi Ouzou, un élève a été poignardé en plein cours et devant ses camarades. Les cas sont nombreux. Leur récurrence mène, selon un psychologue sollicité, à la banalisation de la violence. Ce qui est en soi le plus grand danger et qu'il faut combattre. Quand la violence entre en classe A quelques jours des vacances, nous avons demandé à un enseignant de nous réaliser une petite enquête auprès des élèves de son établissement. La question était simple: écrire sur une feuille ce qu'ils pensent de leur établissement. Les réponses ont révélé un état d'esprit très en deçà des objectifs de l'école. «Ouf! enfin on ne reviendra plus ici», «Cela ne sert à rien d'étudier, les diplômes n'ont aucune valeur, l'argent se gagne autrement.» Toutes les réponses des garçons se résument ainsi. «Il n'y a plus de respect dans cette école.» C'est là la tendance générale chez les filles. Si les garçons ont exprimé ce qui est déjà dit sur l'école, les filles, par contre, révèlent un nouveau phénomène: le manque de respect, la vulgarité, les agressions verbales et les obscénités quotidiennes d'une catégorie d'élèves. Le corps enseignant est gagné par la peur. Devant les dépassements de certains élèves, les enseignants, voire les surveillants, observent la loi de l'omerta par crainte de représailles. Dehors, ils n'ont aucune immunité. Dans bien des cas, ils se sont fait tabasser même dans les classes. Dans certaines régions de la wilaya de Tizi Ouzou, ces derniers affirmaient que l'absence de corps de sécurité a fait que les élèves agressifs vous menacent ouvertement en toute impunité. Il y en a qui fument, qui consomment de l'alcool et même certaines drogues. Les agressions contre leurs camarades filles sont légion. C'est en fait, ce dont parlaient les filles qui évoquaient le manque de respect. «Voyez-vous, on n'est même pas capables de faire porter la blouse aux garçons et pourtant c'est une obligation», révélera un enseignant. Il y a une grande majorité d'élèves au niveau moyen qui continuent à suivre les cours avec une assiduité exemplaire. Il y a également une proportion d'écoliers qui ont un niveau excellent mais qui sont devenus dans bien des cas la risée des cancres. «Nous ne pouvons pas avoir de bonnes notes, les autres nous considèrent comme des filles», confiera un excellent élève. Au fil de la discussion, il s'est avéré que les enseignants font face à chaque début d'année au même phénomène. «Ce sont toujours les élèves exclus et réintégrés qui sèment le trouble dans les établissements», déplore un autre enseignant. «S'ils ont été exclus, c'est bien parce qu'ils n'ont rien à voir avec l'école» martèle-t-il excédé par cette pratique. Nous avons tenté de joindre la tutelle pour des explications, en vain. Les trouble-fêtes Toutefois, dans tous les établissements visités, les enseignants comme les responsables fuient ce sujet «tabou». Mais, existe-t-il une loi qui prend en charge le dossier des exclus? Nous n'avons eu comme réponse que la note obligatoire de passage fixée à 10/20. «Cette loi est en soi une agression», considère un enseignant à la retraite. D'autres intervenants ont insisté sur la nécessité de rétablir la souveraineté du conseil de classe. «Quand un élève est certain de ne pas avoir cette note et qui sait aussi que le jugement de son enseignant est insuffisant pour le racheter, que voulez-vous qu'il fasse?» s'interrogeait un directeur d'école. En fait, le phénomène des réintégrations est tellement répandu qu'il est banalisé. Tout le monde recourt à une connaissance pour réintégrer un fils ou un frère. Certains nous ont même informé qu'il y en a qui ont payé pour ce service occulte. Les élèves réintégrés ainsi que d'autres qui ont été entraînés dans la spirale souvent par force, n'ont pas d'autre moyen de s'affirmer que par la violence envers leurs enseignants et leurs camarades. C'est la conclusion que nous avons recueillie de la majorité des enseignants mais, est-ce vraiment suffisant? D'autres affirmeront qu'il existe des cas de réussite parmi cette catégorie et la volonté juvénile d'affirmation de soi est largement tributaire de son environnement. Quel environnement? La violence, la drogue, le travail des enfants, le gain facile et bien d'autres phénomènes. «Dans la rue comme au sein des foyers, la majeur partie des discussions tourne autour de l'argent» soutiendra le père d'un lycéen qui a obtenu son baccalauréat avec une excellente moyenne. En effet, un grand nombre de collégiens et de lycéens sous-estiment le pouvoir d'un diplôme dans la vie professionnelle. Regardez autour de vous, les gens quittent l'école dès le premier palier et deviennent très riches, «mes amis qui ont quitté l'école et se sont mis à la vente de cigarettes sont aujourd'hui plus aisés que moi.» Nous avons même recueilli le témoignage d'un élève harcelé par sa mère pour qu'il quitte l'école. «Nos voisins ne sont pas des diplômés supérieurs mais ils possèdent tous des véhicules alors que mon père qui est enseignant nous emmène à la plage dans un fourgon de transport», avoue-t-il. En dehors du cadre familial, la situation confirme le constat. L'homme, exemple pour le commun des mortels, aujourd'hui, est celui qui a une belle voiture et beaucoup d'argent. C'est l'avis général qui se dégage des conversations que nous avons engagées dans les cafés et tous les espaces publics. «Comptez le nombre de restaurants et celui des librairies dans la ville de Tizi Ouzou et revenez me parler de ça», lance un vieux retraité. Les causes sont tellement imbriquées que la recherche de solutions n'est pas du seul ressort de la tutelle du secteur. L'apport de l'enseignant dans la formation d'un citoyen équilibré est anéanti par la tendance générale de l'éducation familiale d'aujourd'hui. Le rêve d'un enfant se réalise dans la rue alors que des jeunes qui se sont enrichis dans la rue regrettent un peu tard ce savoir qu'ils n'ont pas acquis. «Vous ne pouvez pas savoir à quel point je veux acquérir le savoir.» C'est là le témoignage d'un jeune commerçant grossiste en électroménager. Enfin, si l'école est victime d'une vague de violence inouïe, doit-on l'imputer à la société ou doit-elle revoir sa copie pour avoir failli dans sa mission de former un bon citoyen?