Il défend les causes désespérées pour étudier la nature humaine, pour la comprendre et pour la faire mieux connaître. On dit de lui qu'il est «avocat du diable», mais lui, dans un ouvrage avec Alain Mallard de La Morandais, paru aux Presses de la Renaissance, en 2001, il corrige: «Avocat du diable, avocat de Dieu». Lourd de sens est ce titre, et il ne laisse rien aux hasards de l'éloquence hardie et de la vaste culture de Maître Jacques Vergès: il dit beaucoup... Maître Jacques Vergès a, comme tous les avocats hors norme, toujours étonné, il faudrait dire «déboussolé», ceux qui le guettent pour trouver chez lui une faille, non pas seulement dans ses plaidoiries, mais également dans son comportement de génie devant les causes les plus difficiles, celles qui sont perdues d'avance ou qui sont annoncées comme telles. Et l'on n'oublie pas non plus son rôle efficace ni l'efficacité de «la défense de rupture» qu'il a inaugurée avec la défense des combattants du FLN (dont l'emblématique Djamila Bouhired) durant la guerre d'Algérie dont il dit «De ce conflit, la blessure n'est pas encore cicatrisée», pas plus que, dans celle, sur un autre registre, il est vrai, de l'affaire Klaus Barbie. Pour faire comprendre, le fonds de ce parallèle qui est aussi une immense différence entre les héros populaires et les criminels de guerre; les victimes de l'injustice, du mépris et du racisme - comme dans le cas de Omar m'a tuer, histoire d'un crime - et les souffre-douleur de la Démocratie à visage obscène, j'aimerais citer intégralement la réflexion de Jacques Vergès quand il écrit dans son Journal, la passion de défendre (*): «Dimanche 2 janvier: un criminel pathétique» Il y a quelques années, j'avais déclaré à la BBC, dans une émission qui traitait de Nuremberg, que je crois à la justice internationale le jour où je verrai M.McNamara assis au banc des accusés. Des amis m'ont fait parvenir un documentaire qui lui est consacré et je profite de ce dimanche pour le visionner. J'en suis bouleversé. Ce film, qui a eu un Oscar, je crois, nous montre en effet un criminel qui n'est pas un monstre, mais reste un être humain. Comme tous les criminels. Il n'a pas l'habileté de Speer, le ministre chéri de Hitler, à Nuremberg, et nous voyons bien que les larmes qui embrument ses yeux ne sont pas des larmes de crocodile. Après une vie réussie, tout a basculé le jour où il a accepté de devenir ministre de Kennedy d'abord, de Johnson ensuite et d'obéir. Je pense à la phrase de Léautaud: «L'homme qui a obéi est à jamais perdu.» La lecture de ce Journal nous emmène loin, profondément, dans la passion de Maître Vergès. Notre plaisir est entier, notre jugement plus favorable à la nature humaine, dès lors que l'analyse nous éclaircit les chemins tortueux que prend parfois la justice...ou la société quand elle se fait juge. Vergès a pu, en effet, noter à l'intention de ses lecteurs, cette confession sincère et très instructive: «Notre profession, pour peu que nous nous y adonnions avec liberté et passion, nous permet de côtoyer les êtres les plus différents, attirés par nous comme l'oiseau de mer par le phare [...]. Mais me dit mon visiteur de ce soir, si le pétrel est fasciné par le phare, c'est que le phare l'appelle aussi, et il m'impose d'entendre la fin de l'histoire qui nous avait un jour réunis.» Je vous laisse découvrir cette histoire que vous retrouverez en pages 402-403 de l'ouvrage, et qui est une magnifique parabole, une conclusion sublime aux propos d'un avocat poète forcément sensible, un littérateur forcément philosophe, un dramaturge forcément objectif puisque tous ses personnages sont vivants et réels et ont donc l'apparence de la vie et vivent dans un décor auquel nos sens lui sont sensibles. Au contraire du romancier, l'Avocat n'invente pas le drame, ne prépare pas les lieux de l'action, ne néglige pas l'accessoire, car tout ce qui fait vivre ses personnages, donne forme à leurs destins. Dans son Journal, la passion de défendre, il s'attarde sur les «bonnes intentions» et, les puisant dans ses rencontres, voyages, conférences, débats dans les médias, souvenirs,...il les explique. Et les émotions ouvrent des portes aussi larges que la mer ou même que l'océan. Tout ce qui est rapporté dans cet ouvrage délicieusement charnu, et qui est «une joie secrète» de Jacques Vergès, est un bien confié à l'homme de bonne volonté, semblable à «L'homme qui se punit lui-même» de Térence, le vieux poète comique latin, qui proclame la plus belle déclaration d'amour humaine: «Je suis homme et rien de ce qui touche à l'humanité ne m'est étranger.» Nos lecteurs liront avec profit ce Journal qui dénonce et qui accuse et qui décrit et qui prouve ce qu'est un vrai procès: celui qui démontre la véritable métamorphose de l'homme: une bête au naturel c'est-à-dire une bête d'amour et une bête de haine, tout à la fois. De janvier 2005 à avril 2006, nous passons d'un aveu du «Samedi 1er janvier 2005: ma joie secrète» à quelque chose de plus intime le «Dimanche 9 avril 2006: la confession», - et tout cela avec quel art pur, c'est-à-dire honnête et pudique, où le génie a placé sa vérité en deçà de lui-même, c'est-à-dire dans les «grands genres» qu'il pratique dans les heures de solitude bénie et qui le grandissent magnifiquement dans ce qu'il entreprend! Maître Jacques Vergès cite des poètes (par exemple, Rimbaud, «Le sang! le sang! la flamme d'or!», p.77; Ferlinghetti, «Dents de dragon», pp.83-84; il en écrit lui-même, p. 239). Il cite des amis, des confrères, des artistes, des philosophes, des hommes politiques, des hommes de grande qualité humaine et des criminels et des monstres; il raconte ses rêves sous «un ciel étoilé» aussi. Une cure de réflexion édifiante vous est offerte gracieusement, chaque fois que vous lisez ou relisez les courts récits sur sa passion heureuse d'avocat qui, lui seul, détient la clé fétiche de la liberté d'esprit. (*) JOURNAL, LA PASSION DE DEFENDRE de Jacques Vergès Editions du Rocher, lieu, 2008, 406 pages.