Le cinéma tunisien est en très bonne santé. En témoignent les films présentés à la Maison de la culture. Entre courts et longs métrages, ce panel de films de «Tounes El Khadra» témoigne si bien de la vivacité et la fraîcheur des cinéastes tunisiens qui, malgré les contraintes et le poids de la censure, réalisaient des perles cinématographiques merveilleuses et étonnantes. Le projet de Nahdi Mohamed est l'histoire de la descente aux enfers d'un jeune d'une vingtaine d'années, Sami dit le Pakistanais. Au chômage, il traîne toute la journée dans son quartier avec ses copains. Un jour, il tombe de «Charybde en Scylla», de problème en problème. Arrêté par la police, il se retrouve impliqué dans un grave délit...Mais la fin n'est pas celle que l'on attendait. Zoom sur un jeune cinéaste dans un bureau d'un représentant du ministère de la Culture qui tente de lui faire changer d'avis sur le scénario et supprimer quelques scènes ou détails, invraisemblables selon lui et dérangeants aussi apparemment pour l'image d'un pays comme la Tunisie, porteuse de paix et de tourisme. Fils du grand comédien Lamine Nahdi, qui a tôt fait d'aborder des questions sensibles dans ses films liés à la sphère politique notamment, le jeune Mohamed Ali, comédien lui aussi, ne nie pas avoir été beaucoup influencé par la vie artistique de ses parents. La scène, il y a baigné dedans alors qu'il est très petit. Dans le projet, le réalisateur, avec ses propres moyens, a t-il indiqué est allé faire un film qui dénonce la mainmise du ministère de la Culture ou autre ministère sur le contenu des films. Le projet se veut aussi pertinent du point de vue scénaristique en ayant recours à cette mise en abîme qui rend le film très intéressant, attirant ainsi l'attention sur la liberté de création de chaque artiste qui se veut absolu selon lui. Le film sort aussi de l'ordinaire dans la mesure où il touche à un sujet très peu abordé dans le cinéma maghrébin, la figure du voyou, celle du «hozi». Intelligent et oscillant entre le documentaire et la fiction, le court métrage dévoile, ici, une facette obscure de la société dont on parle très peu au cinéma: celle des marginaux oisifs. Le réalisateur a su imprégner dans son film une belle touche de légèreté et mettre le doigt sur les maux qui minent, aujourd'hui, nos sociétés modernes: le chômage, le banditisme...Aussi dévoile-t-il la frustration de cet enfant mal aimé, négligé par son père après s'être remarié. «C'est un peu moi aussi dans le film puisque mes parents ont divorcé quand j'étais petit», nous a dévoilé le réalisateur en aparté. Le film, qui a suscité beaucoup de succès auprès des jeunes aux dernières JCC (journées cinématographiques de Carthage), a été aussi distingué du Prix du meilleur film au 19e Festival du cinéma d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine qui s'est tenu du 23 au 29 mars dernier. Un autre film tunisien qui a permis au public algérien de se divertir est Khorma de Jilani Saâdi. Cela se situe à Bizerte, petite ville de Tunisie, Khorma est un jeune orphelin qui détonne par la rousseur de ses cheveux (un comédien dont c'est le premier rôle, amené à se teindre les cheveux pour les besoins du film) et la blancheur de sa peau. Il vit sous la protection du vieux Bou Khaleb qui lui transmet les secrets de son métier de colporteur de nouvelles et de prieur pour les morts. Les choses changent quand Bou Khaleb, devenu peu à peu sourd, commet une grave erreur: il annonce la mort d'une femme du quartier au lieu d'annoncer le mariage de sa fille. Catastrophe! Pis encore, le sort s'acharne sur le vieux colporteur de nouvelles puisque, trois jours plus tard, la pauvre femme meurt une deuxième fois, mais cette fois pour de vrai! Tout le monde accuse alors Bou Khaleb de porter malheur. Il faut s'en débarrasser au plus vite!Faute de candidats, Hadj Khalifa, le sage du quartier, impose Khorma comme successeur de Bou Khaleb...mais un faux pas de trop et il est vite destitué de son «trône» et remis au pilori. Certains critiques en Tunisie ont vu ici une parabole de la destitution de Bourguiba au profit du nouveau président tunisien, Zine El Abidine. Mais cela reste des spéculations. Comique, le film oscille pourtant entre ironie, drame et tragédie à la Kusturica. Khorma ressemble aussi au film américano-grec Zorba Le Grec, film réalisé par Michael Cacoyannis en 1964. Ce dernier s'inspire du roman La Vie et les Idées d'Alexis Zorba de Nikos Kazantzakis. Michael Cacoyannis y exprime une certaine philosophie du plaisir et met en relief les traditions folkloriques et les moeurs de son pays. Dans Khorma, les traditions de ces pauvres villageois «astreints à ne rien voir, ni entendre» sont restituées dans ces fêtes de mariage et de cérémonies d'enterrement ainsi que dans la musique et la danse tunisiennes. Khorma, alias la bêtise est en effet passionné par Abdelhalim Hafez et aime faire la fête. Le réalisateur affirme dans un entretien, vouloir aborder dans ce film la question de la nature des relations qu'entretiennent les gens entre eux. En effet, se connaissent-ils suffisamment? Khorma, malgré les apparences, se veut le plus intelligent et futé du village, d'où peut-être son exclusion...