Candidat au poste de directeur général de l'Unesco, Nouréini Tidjani-Serpos est présentement sous-directeur général de l'Unesco, où il est responsable du département Afrique. Homme d'expérience et d'engagement Nouréini Tidjani-Serpos qui a une autre vision de l'Unesco se confie à L'Expression. L'Expression: Durant de longues années, l'on vous a surnommé le Monsieur Afrique de l'Unesco. Pouvez-vous nous dire quelles sont les actions marquantes qui ont été entreprises par cette institution internationale en direction de l'Afrique? Nouréini Tidjani-Serpos: J'ai d'abord été ambassadeur du Bénin à l'Unesco, où, j'ai participé dès 1991 à toutes les sessions de la conférence générale. Ensuite, j'ai été membre du conseil exécutif de l'Unesco, puis président de ce dernier. Actuellement, j'ai des fonctions au secrétariat de cette institution internationale, en tant que sous-directeur général. L'éducation est l'une des premières activités déployées par l'Unesco en direction du continent africain. En effet, à l'ère des indépendances, l'Afrique avait absolument besoin de former des maîtres. L'Unesco a, en fait, énormément aidé à mettre en place et dans toute l'Afrique des Ecoles normales supérieures et ce afin d'éviter de confier les enfants à des enseignants non formés. L'Unesco a ensuite beaucoup contribué dans la mise en place de programmes scolaires adaptés et qui puissent remplacer le programme colonial. Il fallait alors être sûr de disposer de manuels d'histoire, de géographie, de littérature et autres contenus qui soient définitivement débarrassés d'un certain nombre de scories. L'Histoire générale de l'Afrique a enfin pu être écrite en huit volumes; il s'agit actuellement de transformer cette gigantesque encyclopédie en manuels, en jeux et en Atlas à mettre à la disposition de la jeunesse. Vous êtes un écrivain et un poète reconnu non seulement au niveau de l'Afrique mais à travers le monde, à ce titre quelles conclusions pouvez-vous tirer sur l'organisation de ce 2e Festival panafricain? Le Festival panafricain d'Alger est un moment très fort. La première édition avait déjà secoué un certain nombre de mythes et posé un certain nombre de questions qui avaient, à ce moment-là, interpellé les intellectuels. Cette seconde édition, par son organisation et par ses aspects créatifs qui intègrent la musique, la danse, la sculpture et la peinture, est un événement réussi. Le symposium des intellectuels qui l'émaille, dénote particulièrement un esprit critique et une réflexion. Ce côté intellectuel, cet esprit critique du Festival panafricain aide en fait à poser les questions et à tracer les objectifs. Ceux-là mêmes qui nous indiquent où nous sommes et où nous voulons aller. Assurément, ce Panaf débarrasse à sa manière le continent africain des clichés qui l'accablent. Il démontre que l'Afrique n'est pas synonyme de guerres, de pandémies, de désordre et de coups d'Etat, mais qu'existe au contraire une Afrique qui travaille et qui crée. Cette Afrique dont on ne parle, hélas, pas souvent. Le pari du gouvernement algérien qui a organisé ce festival est donc de parler de cette Afrique-là; une Afrique qui est en train de bâtir son futur, riche de sa jeunesse et de ses créateurs, auxquels l'on donne l'occasion de se rencontrer, de se connaître et de constituer des réseaux. Car l'on ne peut parler de l'Unité africaine si les peuples ne se rencontrent pas, si les jeunes Africains ne se connaissent pas. Ce festival est un carrefour. Vous avez entrepris de nombreux voyages en Algérie où vous avez beaucoup d'amis: que pouvez-vous dire d'Alger et de l'Algérie que vous retrouvez aujourd'hui? Dès que j'ai foulé son sol, j'ai immédiatement constaté que l'Algérie, plus qu'à tout autre époque, est devenue un véritable chantier. Un énorme travail est en train d'être accompli dans ce pays, ce dont je suis vraiment fier! Vous savez! Je considère l'Algérie comme étant le toit de l'Afrique. Par voie de conséquence, elle est le toit de ma maison. Nul besoin de vous rappeler que quand le toit est troué par temps de pluie, toute la maison est systématiquement noyée, c'est pourquoi il est important pour moi de retrouver aujourd'hui une Algérie qui se bat, qui se construit. Quand l'on connaît toute la tragédie que ce pays a traversée et d'où émerge désormais une culture de la paix, l'on se dit qu'il y a eu du chemin parcouru. Il y a quelques années, M.Mokhtar M'Bo a présidé de façon admirable les destinées de l'Unesco. Tous les Africains s'en souviennent et un grand nombre en sont toujours fiers. Aujourd'hui, M.Serpos, vous êtes vous-même candidat au poste de directeur général de l'Unesco: que comptez-vous apporter de nouveau au sein de cette organisation qui a semblé s'essouffler ces dernières années. Est-ce que l'Afrique est unie derrière votre candidature? «L'éducation pour tous» est à mon avis une action d'importance que mène actuellement l'Unesco. C'est dans cette perspective précise qu'il est important d'insister sur la transmission du savoir, sachant que nos domaines de compétence sont l'éducation, la science, la culture et la communication. Si nous voulons une bonne éducation pour les enfants, c'est parce qu'il y a sept cent soixante-seize millions (776 Millions) d'analphabètes de par le monde. C'est totalement inacceptable. Une éducation pour tous est donc plus que nécessaire afin de donner la chance à ces personnes d'avoir accès à leur propre patrimoine. Autrement dit, leur donner l'opportunité d'avoir accès à l'éducation scientifique et technologique et à la gestion moderne de leur destinée. Il est en outre intolérable de constater que des jeunes ne puissent pas aujourd'hui être des lettrés en ce qui concerne l'Internet ou l'ordinateur. Il est de notre devoir de réfléchir aux possibilités de mettre tous ces outils à la disposition de notre jeunesse. C'est là une question extrêmement importante, elle a trait à des problèmes de transmission, c'est-à-dire que nous avons une transmission de savoir et de patrimoine à effectuer. Autrement dit, nous devons être présents au monde et ne plus nous contenter de consommer les idées produites par les autres. A notre tour de devenir des penseurs et des concepteurs d'idées que les autres consommeront à leur tour. C'est là un rôle capital que nous devons immanquablement jouer. Concernant le soutien à ma candidature, je peux juste dire que huit candidats postulent au poste de directeur général de l'Unesco dont trois viennent d'Afrique. Notamment les candidatures égyptienne, tanzanienne et la béninoise que je représente. Les 58 membres du conseil exécutif vont se réunir début septembre, intervieweront les huit candidats et auront à choisir l'un d'entre eux pour envoyer ensuite son nom à la conférence générale en octobre prochain. Sans indiscrétion, y a-t-il eu des contacts entre vous et le candidat égyptien que les ministres africains soutiennent officiellement? Oui. J'ai rencontré M.Hosni. J'ai d'ailleurs pratiquement rencontré tous les autres candidats. Ce n'est pas une lutte à mort! (Rire) M.Hosni est mon frère, c'est un Africain comme moi. La vision peut, cependant, ne pas être la même et les priorités peuvent différer. Me concernant, ce sont les quatre compétences de l'Unesco qui m'intéressent car notre continent en a besoin. Je suis un militant de l'Unesco où j'ai non seulement servi en tant qu'ambassadeur et dans l'organe qui donne des instructions au directeur général mais j'ai également servi au secrétariat de cette instance mondiale. D'où cette différence de taille qui fait que je sois immédiatement opérationnel, je connais les forces et les faiblesses de notre organisation où j'exerce depuis 1991. Ce que j'apporte, aucun autre candidat ne peut l'apporter. Il est clair que je n'ai aucun problème avec les autres candidats sur le plan des relations humaines. C'est simplement que nous n'avons pas les mêmes visions à proposer aux Etats membres. C'est une question de vision.