La question est évidemment pleine de bon sens. Mais la réponse est-elle facile? Dans son ouvrage, Le marketing expliqué à ma mère (*), Morald Chibout, spécialiste du marketing et de la communication, s'abandonne de tout son amour filial à répondre à la question inattendue, mais non dénuée de sens, par laquelle sa mère - peu instruite comme beaucoup d'entre nous dans ce domaine et sans doute troublée par ce terme obscur - voulait savoir tout à coup ce que c'est. Par devoir ou par pitié, ce grand fils si bien instruit, si bien formé par des années de pratique, reste coi. Après quelques instants de perplexité, il se résout à tenter l'aventure d'expliquer par la simplicité la question qui lui paraissait, tout compte fait, «d'une évidente simplicité». Il a conscience que «Tout est marketing», car «Derrière l'implacable vérité de la formule, écrit-il, se cachent une posture, un mode de fonctionnement, des pratiques qui imprègnent profondément nos sociétés et sous-tendent beaucoup de nos conduites.» Il prend donc la liberté de s'engager dans «la voie de la simplicité»; c'est-à-dire tel un pédagogue, allant vers le concret, il conduit sa mère vers le théâtre des opérations de «commercialisation». Il l'emmène «au supermarché pour lui montrer la mise en scène des produits et lui fait regarder et écouter des publicités sur les différents médias. Après quoi [il avait] toutes les cartes en main pour lui dévoiler l'envers du décor.» D'abord, la tenant en quelque sorte par la main puis - de même que les grands pédagogues qui connaissent la puissance des passions -, il la libère, la laissant faire son propre apprentissage de se protéger du charme et de se gouverner. Effectivement, de la difficulté de vaincre ses envies, naît le pouvoir d'être soi-même. Et le consommateur ne désire rien de plus que de ne plus être consommateur sans raison. «Le marketing, nous dit l'auteur, est une subtile alchimie.» Il nous donne quelques exemples: «Pourquoi s'est-elle (sa mère) jetée sur cette promotion de graines de couscous alors que son placard en déborde? Pourquoi avoir acheté ce shampooing, ces yaourts, ce café plutôt qu'un autre, avoir craqué pour ce gadget électroménager dont elle ne se servira jamais? Tout simplement parce que quelque part sur cette vaste planète, des gens ont identifié un marché, des besoins, des désirs, des plaisirs, des frustrations, des manques. Pour cela, ils ont diligenté des études pour définir le produit, en mesurer le potentiel, bâti une offre singulière, segmenté un marché et cherché un coeur cible, positionné cette dernière autour d'une promesse et mis en oeuvre les moyens destinés à la faire connaître, et susciter le désir d'acheter. À peu de choses près, le marketing ce n'est que cela.» Ce n'est pas autre chose que ce qu'il est plus courant d'appeler «étude du marché», fondée sur la connaissance des besoins et de la psychologie du consommateur dans le dessein de diriger, en les adaptant, les produits vers leur meilleur marché. Cependant, trop de méfiance du «marketing», c'est finalement «se marketer» soi-même. Voilà donc un ouvrage, un guide compétent, qui nous aide certainement à nous «marketer», mais sans nous donner toutes les clés du «pouvoir» nous libérer totalement de l'influence des marques et des produits, et de ce type de personnel au nom bizarre, le coach qui transforme les produits en «produits plus»... Comme généralement toute bonne étude, celle-ci Le Marketing expliqué à ma mère de Morald Chibout comprend trois parties. Dans la première, l'auteur présente «Les Mutations du marketing» et tente de le «dé-diaboliser», tout en réservant un chapitre très spécial sur Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy pour indiquer que «Tous les candidats sont des marques». Le deuxième chapitre invite indirectement les futurs consommateurs à ne pas être dupes de la mission du «marketeur» qui serait celle du «marketing relationnel». La troisième partie est consacrée au choix qui doit s'opérer sur la différence qui existe entre les produits. La conclusion, tout en faisant le bilan classique de tout travail intéressant, s'attarde sur «les produits dérivés» des hommes politiques français, - je n'ose pas avoir regret que, dans ce cas de développement, l'auteur n'ait pas abordé pour le lecteur algérien quelques aspects apparents du marketing général en Algérie. Des annexes et des index complètent le propos. Je me suis beaucoup amusé en lisant Le Marketing expliqué à ma mère de Morald Chibout. Je m'y suis instruit aussi. Alors, en refermant ce livre, j'en suis à me demander à quelle sauce de marketing ai-je été mangé? Voyez-vous: je ne m'étonne pas que l'auteur ait été élu «Homme Marketing» de l'année 2008. (*) LE MARKETING EXPLIQUE À MA MÈRE de Morald Chibout Editions Alpha, Alger, 2009, 213 pages.