Arômes, effluves et fragrances vous accompagnent dans votre flânerie. La lenteur de ses mouvements, sa nonchalance, ses paupières lourdes, ses cheveux décoiffés...trahissent la torpeur dans laquelle se trouve plongé le jeûneur en ce mois sacré de Ramadhan. C'est, hélas! une scène coutumière à laquelle on assiste quotidiennement à travers tout le pays durant ce mois. Les scènes les plus remarquées, souvent insolites, se déroulent dans les bus ou même dans la soi-disant chaîne avant l'arrivée du «Cheval ailé». L'on assiste à des étirements sans gêne, accompagnés de bâillements pour le moins incongrus au grand dam des femmes présentes qui désapprouvent discrètement, bien sûr, par une mine de dégoût cette agression qui ne dit pas son nom. Mais allons donc ensemble au marché pour découvrir la richesse et la variété qu'offrent les étals en ce mois de Ramadhan. Le matin, avant l'évacuation de toutes les ordures, déchets et détritus, une agréable odeur de fruits et légumes vous titille les narines. A cette heure plutôt matinale pour la période, les vendeurs sont tous affairés à agencer leurs étals, un tableau plaisant et riche en couleurs, sur lequel les regards des chalands se promèneront un instant, lors du premier tour du marché, avant de passer «à la caisse». Qui arrose d'eau les herbes fraîches, qui expose, qui orne de fleurs son étal garni de fruits parfumés, qui donne un dernier coup de balai devant son carré...un vrai petit ballet de gestes coutumiers qui témoigne de l'engagement du marchand à bien servir le client. Tout cela n'est hélas que parade. Le client est plutôt attendu de pied ferme pour être déplumé sans vergogne par ces marchands qui affichent, comme chaque année du reste, des prix exorbitants avec des marges bénéficiaires qui dépassent l'entendement. Toute la presse en parle et dénonce cette situation. La loi implacable de l'offre et de la demande fait des siennes sans égard aux petites bourses contraintes à un sport spécial du sauts d'obstacles des prix tout le long de l'année. Mais cette loi naturelle fait des dégâts car en amont, la spéculation bat son plein. Les intermédiaires se multiplient, les vendeurs y occasionnels trouvent leur compte et tout le monde fait fi de la morale à observer et respecter en ce mois sacré où fut révélé le Coran à notre Prophète Mohammed (Qsssl). L'étal le plus prisé est celui qui propose les herbes «folles» qui aromatisent les plats concoctés par les épouses, mères et filles qui passeront le plus clair de leur journée aux fourneaux. Ces étals sont ceux où l'on trouve, en plus de la traditionnelle coriandre dit «persil arabe» et du persil, des bouquets de menthe pour le thé, de la menthe sauvage pour certains plats, de petites bottes d'épinards, du thym et d'autres herbes aromatiques qui font la renommée des plats méditerranéens. Pour parler de la coriandre, ce persil incontournable, agrémenté de quelques feuilles de menthe et de brins de feuilles fines de fenouil sauvage (besbès), pour parfumer à souhait une bonne «chorba», usons donc de l'appellation bien de chez nous. A l'Est, elle est appelée «edebcha», ailleurs et notamment dans la Mitidja «kesber» ou encore «hchich meketfa» par les Algérois. Cet arôme suave et indéfinissable de la coriandre n'attend d'ailleurs pas l'heure du f'tour pour taquiner avec malice les narines des jeûneurs et exciter leurs papilles gustatives tout au long des ruelles des quartiers populaires, notamment des bâtisses de la Casbah, d'où émanent ces senteurs pour le moins enivrantes à l'approche de la rupture du jeûne. Meketfa, sont ces vermicelles-maison qui sont pétris à la main et roulés entre les doigts avant d'être séchés longuement sur des tamis à l'ombre et non au soleil, pour éviter toute putréfaction accélérée de la pâte. De nos jours, sont actuellement utilisées les vermicelles appelés «cheveux d'ange», un nom du reste charmant, ou «langues d'oiseau», autre appellation tout aussi plaisante et non moins sympathique, pour accompagner un plat savouré partout en Algérie et ailleurs sous d'autres noms, comme l'est le plat national, le couscous. Quelques jours avant le début du jeûne, c'était les vendeurs d'épices qui avaient la cote. Ils proposaient en effet des épices au parfum d'Orient qui sont incontournables pour la préparation de mets dont seules nos mères et grands-mères détiennent le secret. En d'autres temps, se souvient-on, ces vendeurs de produits maraîchers étaient tous d'un certain âge, avec un habillement particulier et pittoresque. Ils étaient vêtus d'un ensemble «bleu de Chine» appelé «bleu Shangaï» souvent délavé par le temps, le soleil et la sueur, un large foulard enturbannant une chéchia d'un rouge bordeaux posée sur la tête. Comme pointe d'élégance, un pan de coin du foulard tombait avec une négligence feinte sur une oreille, alors que l'autre pan était orné avec ravissement, d'une brindille de menthe. Ces vendeurs «chantaient» la qualité de leurs produits, usant, à qui mieux-mieux, de jolies et amusantes métaphores pour attirer les clients...C'est dire combien faire le marché était alors, à la fois, une promenade, un plaisir et un farniente. L'essentiel est de conserver nos traditions.