Le sursaut des pouvoirs publics est très tardif, s'il s'agit pour eux de moraliser la vie des affaires et de privilégier les investissements productifs. Tout le monde est unanime pour reconnaître que notre pays ne présentait guère d'attractivité pour les investissements étrangers jusqu'à la publication de la LFC le 26 juillet dernier. Il serait donc injuste de diaboliser ce texte, comme il serait abusif de la part du gouvernement de laisser entendre que ce texte va insuffler une dynamique de développement pour notre pays. Malgré l'importance de ses ressources énergétiques et minières, l'étendue et la diversité de son territoire, la stabilité de son personnel dirigeant, celle des équilibres macro-économiques (depuis maintenant 15 ans) et sa proximité des marchés européens, l'Algérie n'accueille en moyenne que 1,2 milliard de dollars d'IDE par an (beaucoup moins que le Maroc, la Tunisie, la Libye, l'Egypte et même le Soudan). Il est vrai qu'en 2008-année exceptionnelle -, ce montant a été de 5, 25 milliards d'euros contre seulement 525 millions d'euros en 2007, pendant que les investissements en partenariat avaient atteint le montant de 3,7 milliards d'euros. Dans le domaine des hydrocarbures, entre 2000 et 2008, l'Algérie a attiré quelque 17 milliards de dollars d'IDE. Le Forum mondial de la compétitivité (WFC) a établi pour 2008-2009 un classement de 134 pays en fonction de leur degré d'attractivité pour les IDE à partir de trois groupes de critères: les exigences de base (basic requirements) au nombre de quatre, les atouts valorisants (Efficiency enhancers) qui sont au nombre de six et enfin les facteurs d'innovation et de sophistication (Innovation and sophistication factors) qui sont au nombre de deux. Il ne convient pas de prendre au pied de la lettre cette nomenclature pour deux raisons, au moins. La première est que les facteurs d'attractivité n'ont pas la même importance pour un pays misant totalement sur l'économie de la connaissance et un pays engagé dans la réhabilitation de ses infrastructures. Pour les pays dits de la Triade par exemple (EUA, UE, Japon, Australie), les innovations technologiques, le degré de sophistication de la gouvernance des entreprises, les performances de la recherche/développement sont prépondérants, alors que pour un pays comme la Turquie, ce sont les accélérateurs de croissance qui sont déterminants: fonctionnement du marché financier, flexibilité du marché du travail, efficience du marché des biens, etc. La deuxième raison est que l'attractivité formelle n'est pas une fin en soi si le régime de faveur octroyé à l'investisseur étranger se paie d'un déficit structurel de la balance des paiements courants du pays d'accueil ou que le régime de l'investissement engendre une dégradation de la situation économique et sociale interne (en termes de concurrence pour les entreprises locales, de niveaux d'emplois et donc aussi de pouvoir d'achat pour la population). Le classement de l'Algérie sur les 134 pays Dans le 1er groupe de critères (autrement dit les critères de base), l'Algérie se classe à la 61e place (120e pour les institutions, 84e pour l'état des infrastructures, 5e pour la stabilité macroéconomique et 76e pour les prestations de santé et l'enseignement primaire. Dans le 2e groupe de critères (les atouts valorisants), elle occupe la 113e place (102e pour l'enseignement supérieur, 124e pour l'efficience des marchés de biens, 132e pour le marché du travail (du point de vue de sa flexibilité et de l'offre d'emplois stables), 132e également pour le degré de liquidité des marchés financiers, 114e pour la réactivité technologique et 51e pour la taille du marché intérieur. Le troisième groupe de critères porte sur les facteurs d'attractivité les plus élaborés (c'est-à-dire ceux qui propulsent la compétitivité des entreprises). L'Algérie y occupe la 126e place (132e pour le degré de sophistication et 113e pour l'innovation). En combinant l'ensemble de ces critères, l'Algérie se classe au 99e rang sur 134 pays. Il faut savoir que ce classement ne résulte pas d'un maniement abstrait par les experts du Forum mondial sur la compétitivité des principaux ratios et agrégats disponibles en comptabilité nationale mais de la contribution inédite et d'une grande qualité des chercheurs algériens du Cread (institution-clé de la recherche dans notre pays qui est malheureusement sous-utilisée, alors que ses travaux font autorité au sein de la communauté scientifique internationale). Impact de la LFC sur l'attractivité du territoire algérien En réalité, la LFC n'est qu'un outil juridique, institutionnel et surtout fiscal. A priori, elle ne décourage ni n'attire les investissements étrangers. Son contenu est loin de s'inspirer des législations dissuasives mises en place par certains pays en développement dans les années 1960 et qui ont, toutes, aujourd'hui, disparu. Elle n'est évidemment pas non plus un catalogue de mesures généreuses destinées à enrichir des investisseurs guidés par le seul profit immédiat. Le contenu de la LFC traduit surtout l'inquiétude des pouvoirs publics devant l'anémie persistante de notre appareil de production et la propension systématique de nombre d'opérateurs à recourir à l'importation, occasionnant ce faisant une consommation de devises déraisonnable et surtout dangereuse à terme, si l'Algérie se trouvait dans l'impossibilité de reconstituer ses réserves de change, à cause d'une stagnation durable des prix de l'énergie. Ceci dit, le sursaut des pouvoirs publics est très tardif, s'il s'agit pour eux de moraliser la vie des affaires et de privilégier les investissements productifs. Le gouvernement a laissé se constituer des réseaux maffieux à l'import en réagissant mollement. Il a autorisé de nombreux concessionnaires de véhicules à s'installer partout sur le territoire national. C'est également avec son aval que le crédit à la consommation s'est développé. Le surendettement des ménages supposé ou réel a été décrété sans que les signes avant-coureurs de ce phénomène aient été révélés. Tout d'un coup, au milieu des vacances estivales, le gouvernement s'avise qu'il existe trop de fraudeurs à une réglementation commerciale qui n'est pourtant nullement rigide dans son contenu et que l'Algérie doit se doter urbi et orbi d'une industrie automobile (et ce, après avoir laissé échapper plus d'une occasion de la mettre en place au cours de ces dix dernières années). Par ailleurs, s'il entend associer étroitement les PME/PMI aux investissements futurs, il n'a fait, au préalable, procéder à aucune évaluation de la mise à niveau de ces entreprises, que ce soit dans le cadre du Programme Mena ou à travers les multiples dispositifs internes mis en place par le ministère des PME/PMI (l'observateur doit se contenter des diagnostics perpétuellement autosatisfaits des responsables du secteur). Ce qui, en revanche, ne fait pas de doute, est qu'en 2009, 92 à 95% des entreprises du BTP ne possèdent pas encore les qualifications nécessaires pour réaliser des logements dans les règles de l'art et dans les délais impartis et ce, au moment où l'Etat entend généraliser et bonifier les taux d'intérêt pour le crédit immobilier. Last but not least, la LFC aggrave le poids des dépenses publiques. En effet, le gouvernement vient de créer de nouvelles niches fiscales et de nouvelles niches sociales (ces dernières destinées à abaisser le coût du travail) faisant courir un risque sérieux pour la santé de nos finances publiques à l'horizon 2012-2013, alors qu'il aurait pu s'assurer, au moyen d'une expertise locale rigoureuse (au besoin contradictoire émanant de la Cour des comptes, du Cnes, de l'IGF, du FCE, du Cread, etc.), de l'efficacité des multiples exonérations et exemptions accordées aux entreprises et notamment leur impact prévisible sur le niveau de l'emploi et sur celui des salaires nets qui seront distribués. Les piliers de la compétitivité que l'Algérie doit développer L'Algérie n'a pas d'autre choix que de s'atteler à créer les conditions de base de son décollage économique, objectif principal du PCSC (2005-2009) et du plan quinquennal (2009-2014). Il faut donc qu'elle se dote d'institutions publiques et privées fiables. La décentralisation territoriale conçue en 1967 ne répond plus aux exigences économiques de l'heure. Mais il ne suffira pas d'adopter un nouveau Code communal et un nouveau Code de la wilaya pour qu'ipso facto les assemblées élues exercent correctement leurs attributions. Il faudra au minimum une refonte complète de la fiscalité locale (les communes ont besoin d'argent) et de nouveaux critères d'éligibilité aux responsabilités locales (ce qui passe par une réforme du mode de scrutin) en attendant de repenser complètement l'organisation territoriale algérienne dont le moins que l'on puisse dire est qu'elle n'a pas favorisé un aménagement territorial digne de ce nom. Au niveau de l'administration centrale, sans autorités de régulation indépendantes et suffisamment outillées pour imposer le respect de la loi aux opérateurs qui relèvent de leurs juridictions respectives, sans Banque centrale capable d'exercer avec efficacité les différents contrôles prudentiels sur les banques primaires, sans une Centrale des risques qui n'est pas encore opérationnelle vingt ans après l'adoption de la loi sur la monnaie et le crédit (avril 1990), sans un Conseil de la concurrence en mesure d'exercer le minimum minimorum des attributions qu'il tient de l'ordonnance du 19 juillet 2003 relative à la concurrence, l'Algérie ne sera jamais au rendez-vous de l'économie de marché à l'avènement de laquelle disent vouloir oeuvrer les pouvoirs publics. Quant aux chefs d'entreprise, si prompts à stigmatiser les dévoiements de la bureaucratie, ils gagneraient comme vient de les y inviter instamment le Président de la République, à l'occasion du dernier Conseil des ministres, à satisfaire à leurs obligations les plus élémentaires (dépôt de leurs comptes sociaux une fois par an au Cnrc), à payer leurs impôts et leurs cotisations sociales (même s'il est vrai que celles-ci sont lourdes et devront être considérablement allégées mais dans le cadre du dialogue social que le gouvernement doit instaurer en permanence). En aucun cas, la fraude au fisc ou à la Cnas ne constitue une solution, alors surtout que la majorité écrasante des entreprises étrangères installées en Algérie s'acquittent de leurs obligations à l'égard du Trésor et tiennent une comptabilité irréprochable. Sur ces différents points, l'Algérie occupe la peu glorieuse 102e place. S'agissant des infrastructures, le tout n'est pas d'avoir lancé avec un succès qui reste à démontrer d'importants travaux d'infrastructures et d'équipements collectifs destinés à faciliter les liaisons entre les différentes régions du pays. Il faut encore que ces liaisons soient efficaces, aisément accessibles et de qualité. Tout dépendra de leur gestion après réception des travaux et des moyens dont disposera l'Etat pour assurer le financement de leur entretien qui sera inévitablement coûteux et mettra le portefeuille du contribuable à contribution dans une mesure encore inconnue mais néanmoins réelle. En revanche, l'Algérie occupe le 5e rang pour la stabilisation macroéconomique. Ceci signifie que les fondamentaux de l'économie sont bons: inflation, montant du déficit budgétaire, montant de la dette publique. Mais toute la question est de savoir si l'épargne budgétaire, essentiellement, alimentée par la fiscalité pétrolière ne connaîtra pas une décrue du fait de la sollicitation dont fera l'objet le marché monétaire dans les quatre années à venir. Reste deux points: la santé et l'éducation. L'Algérie se classe au 76e rang. Il est indéniable que la qualité des soins s'est améliorée depuis l'ouverture de cliniques privées et le recours à l'expertise médicale algérienne exerçant à l'étranger. Toutefois, le montant de la prise en charge du malade reste rédhibitoire pour la quasi-totalité des titulaires de revenus fixes. Pour ce qui est de l'éducation, le classement de l'Algérie ne reflète pas l'état des lieux. Le taux de scolarisation est certes élevé en 1re et 2e années primaires mais les taux de déperdition à l'issue du cycle primaire crèvent le plafond, surtout dans les localités rurales et même les villes de moyenne importance. Le phénomène le plus inquiétant est que les écoles primaires du secteur public se sont transformées en garderies d'enfants, alors que les écoles privées sont traquées par les pouvoirs publics qui leur interdisent l'application de programmes scolaires en parfaite adéquation avec les prescriptions de l'Unesco, laquelle ne cesse de tancer, en vain, les responsables du secteur. Comment l'Algérie pourra-t-elle accueillir des investissements utiles d'abord pour elle si l'avenir de la majorité de ses enfants est déjà scellé à l'école primaire? Avant que l'Algérie ne puisse développer les accélérateurs de croissance (efficience du marché des biens, marché du travail régulé, existence d'un véritable marché financier) et plus encore qu'elle s'attache à monter les piliers de la connaissance (technologie, innovation, recherche expérimentale, etc.), il faudra assurément du temps, une forte volonté politique, un changement du personnel d'autorité et une plus grande adhésion des agents économiques aux disciplines de l'économie de marché. Les critiques que nous inspire la LFC ne sont nullement dirigées contre les responsables algériens qui font de leur mieux dans des circonstances difficiles. Un ancien chef de gouvernement vient de déclarer que l'Etat algérien était déliquescent. Evidemment que la réalité ne correspond pas à cette vision d'apocalypse. Mais le temps est compté à notre pays et il n'appartient pas seulement au Président de la République (qui ne saurait être en même temps ministre du Commerce, wali, chef de daïra, président d'APC, agent des douanes, agent du fisc, chef d'entreprise, etc.) et au gouvernement de mettre de l'ordre dans la maison Algérie. C'est une responsabilité collective qui est en jeu. Les directives du Président doivent être respectées car elles visent à préserver les chances de notre pays. Celui qui y contrevient cherche à affaiblir le chef de l'Etat et ne peut donc prétendre rester en fonction. Quant à la feuille de route que le Président a tracée, elle répond, n'en déplaise à quelques esprits chagrins, aux besoins de notre développement et à ceux de la population. (*) Professeur en droit des affaires à l'université d'Alger