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«Il y a un problème d'intégration des banques étrangères en Algérie» Tout en affirmant que l'Algérie est à l'abri de la crise, l'ancien ministre des Finances, Abdelkrim Harchaoui, déclare :
Photo : Riad Entretien réalisé par Salah Benreguia LA TRIBUNE : Ces dernières années, après avoir fait des investissements directs étrangers (IDE) son cheval de bataille, le gouvernement a opéré un grand virage en optant pour le soutien et la restructuration du tissu industriel public. Quel est votre commentaire là-dessus ? Abdelkrim Harchaoui : Je ne pense pas qu'il y ait un grand virage de la politique économique nationale, il y a des adaptations et des ajustements d'année en année, de période en période, en fonction des évolutions de la situation et des réalisations, et en fonction de certaines contraintes et évolutions nationales et internationales. Je pense que l'Algérie ne s'est jamais départie de sa base industrielle publique, quelles que soient les déclarations, quels que soient les discours. C'est vrai qu'il y a eu un effort de privatisation, une politique de privatisation. Concernant la privatisation, elle offre comme de bonnes perspectives d'efficacité des entreprises, d'adaptation au libre jeu des forces des marchés et de la concurrence. A charge pour l'Etat de jouer son rôle de régulateur et de contrôleur de la sphère économique pour éviter les abus et les dépassements afin que ce libre jeu des forces du marché ne soit pas un facteur de spéculation mais un facteur de régulation et de développement. L'évolution récente de la situation en termes d'une meilleure restructuration industrielle du tissu économique et d'un meilleur assainissement des entreprises ainsi que l'accompagnement des entreprises nationales privées sont des efforts que déploie l'Etat grâce aux ressources mobilisées et aussi en fonction de la situation financière mondiale durant laquelle on en tire des enseignements pour savoir comment organiser notre tissu économique et comment aussi assurer une plus grande stabilité de l'économie nationale. Ouyahia a, quelques semaines après sa désignation à la tête du gouvernement, pris des décisions phares concernant le crédit à l'économie nationale en exhortant, notamment, les banques à accorder plus de crédits aux investisseurs nationaux au détriment des étrangers. S'agit-il d'un aveu d'échec de la politique prônée jusque-là, consistant à favoriser les investissements étrangers, qui peine d'ailleurs à donner d'excellents résultats ? Et, surtout, pourquoi a-t-on attendu tout ce temps pour opérer ces changements ? Il ne s'agit pas d'un aveu d'échec. Chaque période a ses expériences et chaque étape ses réalisations, ses points forts et ses points faibles. L'important, c'est de retirer les enseignements, d'évaluer et d'améliorer notre système de gouvernance. Je crois que le système de gouvernance de l'économie, qu'il s'agisse des entreprises économiques ou du système bancaire ou de notre intermédiation financière, c'est quelque chose qui fait l'objet d'évaluation régulière, qui permet justement d'apporter les adaptations qu'il faut. Le chef du gouvernement, durant ces derniers mois, est en train d'introduire des ajustements et des mécanismes qui pourraient rendre l'économie plus performante, à savoir sauver les entreprises qui doivent être sauvées et déterminer exactement les facteurs de dysfonctionnement et les facteurs de déséquilibre. Les banques également possèdent des ressources financières. Elles sont noyées de liquidités. Mais cela ne veut pas dire que ces ressources vont être distribuées sans contrepartie, sans conditions, sans maîtrise de risque. L'important, c'est que nos banques ne soient pas trop frileuses, ce qui décourage d'ailleurs les investissements à travers des mesures bureaucratiques et une rigueur du contrôle qui va jusqu'à reporter indéfiniment les projets d'investissement. Or l'Algérie a besoin de renforcer son tissu économique et développer ses entreprises et ses investissements à tous les niveaux. C'est dans ce sillage que le chef du gouvernement est en train de continuer à travailler pour appliquer le programme présidentiel qui plaide pour une meilleure croissance. Il faut savoir que le gouvernement, qui gère les affaires de l'Etat, n'a jamais privé l'Algérie de ses ressources nationales pétrolières, et a consacré aux équipements publics et à l'amélioration de fonctionnement des différents secteurs de la situation sociale. Justement, il y a, d'un côté, d'immenses projets lancés dans plusieurs secteurs et qui coûtent des montants colossaux pour l'Etat, et, de l'autre, le baril du pétrole (car le pétrole représente la source principale de nos avoirs) qui est en baisse ces derniers jours : moins de 80 dollars samedi dernier. Est-ce que la peur, la contrainte de ne pas pouvoir financer les futurs projets (2009-2014) pourraient d'ores et déjà s'installer en Algérie ? Le scénario des années 80 est-il envisageable ? La situation a fondamentalement changé par rapport aux années 80. Je crois que ces dernières années l'Algérie a consolidé sa stabilité financière et renforcé les conditions de relance économique et de soutien à la croissance. Les importants crédits budgétaires alloués aux investissements publics ne veulent pas dire que l'Algérie s'est lancée dans un processus de développement sans maîtrise du contenu des projets et des objectifs économiques et sociaux. Ce sont des objectifs qui répondent aux locaux et aux nationaux. Ce sont des projets structurants qui doivent être une base pour l'investissement économique des entreprises. Si vous n'avez pas des autoroutes qui permettent le transport des marchandises et des équipements à travers le territoire national, comment voulez-vous asseoir une base indispensable pour soutenir tout le reste de l'activité. Donc, ce qui a été fait est indispensable et reconnu par les institutions internationales, y compris la BM et le FMI. A propos du FMI, le dernier rapport de ce mois a relevé des bons points et des bonnes perspectives économiques pour l'Algérie… Premièrement, le FMI ne distribue pas des bons points, comme le pensent certains. Quand il s'agit d'une situation catastrophique, il le dit. Aujourd'hui, il dit que la situation est bonne et va dans le bon sens, il y a contestation. Ce n'est pas normal. Le FMI se base sur des analyses objectives et il a des experts très qualifiés n'ayant aucune relation de complaisance avec aucun pays, du moins avec le nôtre. Et c'est rassurant. Ces déclarations doivent nous inciter à aller de l'avant, et nous devons tenir compte aussi de la rigueur qu'impose le FMI. Nous avions quand même vécu une dramatique situation de crise économique en 1994 et 1995. Maintenant que nous sommes stables et que nous avons eu l'avantage de constituer des ressources suffisantes pour assurer notre stabilité pour quelques années, il faut qu'on sorte de la fragilisation qu'ont connue les équilibres macro-économiques, qu'a connue notre stabilité financière, en essayant de consacrer, au mieux, comme cela a été fait depuis plusieurs années, l'aisance financière générée par les prix des hydrocarbures et ce, au développement de notre économie. L'effort est de pousser nos banques à donner plus de liquidités aux entreprises pour un développement réel, parce que nos banques sont habituées à un raisonnement : ou bien donner des crédits quand il s'agit de banques publiques sans mesurer les risques, sans garantie, et il s'agit de dilapidation des ressources, ou aider un secteur privé en plein essor ayant besoin de ressources mais qui possède de bons chefs d'entreprise, de bonnes entreprises. Il y a aussi, dans ce secteur, des gens qui s'improvisent plus ou moins investisseurs, qui n'ont pas la contrepartie de ces crédits, et dont ces banques doivent se méfier. Donc, ce qui est souhaitable, c'est qu'on évite l'excès de frilosité de nos banques. Puisqu'on a une intermédiation financière efficace, qu'elles prennent des risques, parce qu'il n'y a jamais de vie sans risque. Les aléas du marché sont là, les aléas économiques nationaux et internationaux sont là aussi, ils peuvent gêner des activités, compromettre la rentabilité des entreprises et la rentabilité des investissements. Il ne faut pas aller au-delà de certains niveaux, il y a des normes qui sont fixées et je crois, dans ce cas, que la Banque centrale assure sa supervision bancaire. L'autre volet de l'intermédiation financière, c'est l'apport des banques étrangères. Justement, les banques étrangères qui évoluent en Algérie à la faveur des ouvertures consacrées ne semblent pas être à la hauteur des attentes exprimées, notamment par les pouvoirs publics. S'agit-il d'un «mauvais» climat d'affaires qui existe toujours dans notre pays ou cela est-il dû au degré de professionnalisme des succursales de ces institutions étrangères ? Vous soulevez un véritable problème et un grand casse-tête. Jusqu'à présent, beaucoup d'investisseurs, de chefs d'entreprise et d'analystes soulèvent ce type de problème : les banques étrangères qui ont ouvert en Algérie ne se sont pas intégrées pleinement dans notre économie. Car lorsqu'on s'intègre dans une économie, on assume une certaine responsabilité. En contrepartie d'une rentabilité économique et financière dégagée par la banque, il faut que celle-ci accepte une dose de risque en finançant les opérations dans le pays. Se limiter à financer, comme le disent et le constatent beaucoup, essentiellement le commerce extérieur, ce n'est pas le rôle d'une banque. Une banque s'occupe du financement du commerce extérieur, de la promotion des échanges et du système des paiements, mais elle doit aussi s'occuper des investissements et du financement des besoins des investissements. Là, les banques étrangères interviennent très peu, d'une façon insignifiante dans le financement des investissements, et cela m'amène à dire qu'il y a un problème d'intégration de ces banques. Elles sont frileuses, elles n'aiment pas s'engager et prendre un risque exagéré en Algérie. Le climat des affaires est excellent en Algérie. Nul ne peut dire le contraire, le retour sur les capitaux investis en Algérie est l'un des rares et uniques au monde. Nul ne peut le contester, même les observateurs internationaux le reconnaissent. Alors que les banques étrangères ne disent pas que le climat des affaires est mauvais en Algérie, mais qu'il s'agit pour elles de s'adapter comme des banques de droit algérien qui prennent des responsabilités et assument des obligations envers l'économie d'un pays qui les a accueillies. La nouvelle taxe sur les véhicules neufs a été contestée par les consommateurs qui déplorent le fait que celle-ci se répercute sur le prix d'achat directement et ce, face aux multiples assurances des pouvoirs publics. En tant qu'économiste, quel est votre commentaire sur ce sujet ? Il faut que chacun reconnaisse les pouvoirs à l'Etat algérien. Il faut que chacun reconnaisse que la taxe ou l'impôt est un facteur de régulation économique et sociale. Il s'agit aussi d'un instrument d'orientation économique et sociale. Or, l'Etat ne peut pas rester indifférent devant une situation kafkaïenne qui nécessite absolument d'être prise en charge. Nous avons une économie de marché, un marché libre. Les données officielles ont démontré que l'Algérie a consacré une masse financière de l'ordre de 2,5 milliards de dollars pour l'importation de véhicules, pour la seule année 2007. Maintenant, en termes de contrepartie à apporter, en dehors de cette importation et la livraison des pièces détachées au comptant, je ne vois pas quel est l'apport des concessionnaires installés en Algérie, en dehors du fait d'avoir installé des ateliers d'opération de rechange et quelques succursales installées çà et là. Or, avec 2,5 milliards de dollars, on pourrait réaliser non seulement une usine de montage mais une unité de construction d'automobiles. Mais la taxe s'est répercutée sur le prix des véhicules, donc c'est le consommateur qui la paie… Cela ne veut pas dire que c'est le citoyen qui paie la taxe. Avec ce système de taxe, cela ne veut absolument pas dire que les concessionnaires ne vont pas baisser les prix. Parce qu'il y a une élasticité prix/demande qui agit et qui a amené déjà certaines marques à commencer à offrir certaines remises extrêmement importantes. C'est une régulation nécessaire et elle ne vient pas pour faire du mal au consommateur, mais du bien au pays. Concernant la crise financière mondiale, on persiste et on signe que l'Algérie est à l'abri et qu'elle ne sera pas touchée par ce séisme financier. Des ministres ainsi que le chef du gouvernement ont adopté le même langage d'assurance. A quel degré ces assurances sont-elles fiables ? Les assurances sont là pour dire que la stabilité financière de l'Algérie est pour quelques années. S'il y a un effondrement des prix du pétrole, nous avons quand même un niveau de réserves de changes qui permet à tous nos partenaires de constater que nous sommes réellement un pays solvable sur le plan de la position financière extérieure. Nous sommes capables de tenir tous nos engagements extérieurs, d'assumer tous nos programmes d'importations, d'assurer un bon fonctionnement de notre économie, et même de soutenir le taux de croissance. Nous sommes en train d'assurer la stabilité de notre budget grâce aux ressources de régulations budgétaires, au niveau duquel il y a déjà, à la fin du mois de juillet, presque 4 400 milliards de dinars. Cette somme peut même soutenir une éventuelle baisse des prix des hydrocarbures. Les experts sont unanimes au sujet de la baisse des prix du pétrole, en disant que celle-ci ne peut pas dépasser un certain seuil, car il y a de plus en plus peu de découvertes dans le monde, et la demande en consommation élevée, même s'il y a récession, il y aura toujours des mesures de stabilité mondiales. Je crois que l'Algérie pourrait assurer sa stabilité, mais il est temps aussi de s'occuper de ses équilibres nouveaux, du commerce extérieur et intérieur qui dépend fortement des hydrocarbures. Il s'agit de tirer maintenant des enseignements de ces crises qui sont d'ailleurs répétitives. Et là tout le monde doit savoir que sortir de la dépendance des hydrocarbures est un défi majeur que l'Etat doit inscrire en bonne place dans son programme de développement. Lorsqu'on a vécu la crise de 1986, tout le monde a été touché, y compris le simple citoyen qui a payé cher, notamment par la hausse des prix, la baisse des salaires, la suppression de postes d'emploi. L'Etat l'a également payé par la perte du pouvoir de financement des entreprises dissoutes. Donc, toute la nation a été touchée par le choc pétrolier de 1986. Et si on devait connaître un autre choc, c'est tout le monde qui payera aussi. Donc, il est temps que notre système productif et notre cadre de vie soient une responsabilité commune qui s'impose à tous. Nous avons eu l'avantage d'engager un programme basé sur un pacte économique et social, soit avec le concours de tous les acteurs (UGTA, gouvernement et patronat) et que les efforts soient réunis pour le développement de notre pays.