Il faut se réjouir de la décision du pouvoir politique d'élaborer une véritable stratégie industrielle qui devra être discutée et soumise à l'ensemble des opérateurs économiques et des partenaires sociaux. Tout le monde peut aujourd'hui convenir que l'Algérie a entamé un processus vertueux de rupture avec le modèle rentier. Nous avons montré dans nos deux précédentes chroniques que le Pcsc (2005-2009) et le plan quinquennal (2010-2014) n'avaient pas été conçus pour entretenir la logique rentière de l'économie. Quelles que soient les réserves que l'on peut formuler à propos des montants attribués à tel ou tel secteur, de la priorité accordée à tel poste de dépense par rapport à tel autre, il est de plus en plus évident que le pouvoir algérien entend rompre avec un système économique fondé sur la répartition de la rente, que ce soit sur la base de critères clientélistes ou populistes. Ces temps sont révolus. A l'instar des autres pays pétroliers qui se sont engagés dans un vigoureux effort de diversification de leur appareil de production, l'Algérie, certes avec un retard très important, pose, jour après jour, les linéaments d'un système de production et d'échanges, qui fera toute leur place aux entreprises publiques qui constituent le fleuron de notre industrie, en leur apportant l'aide et l'assistance financière, technique et managériale dont elles ont besoin pour créer des richesses et des emplois. La Snvi est appelée à connaître un essor remarquable dans les mois qui viennent. D'autres entreprises publiques suivront comme Saidal, l'Enie, BCR, etc. En aucun cas, le gouvernement ne laissera ces entreprises péricliter puis disparaître, mais au contraire consolidera leur ma-nagement. Les privatisations tous azimuts ont fait long feu et il est heureux que le ministre de l'Industrie et de la Promotion des investissements reconnaisse implicitement l'échec d'un processus de désétatisation qui n'a ni été réellement pensé ni fait l'objet d'évaluations périodiques. S'agissant de l'investissement international, il était normal qu'en 2001 et même en 2006, les autorités algériennes eussent accepté d'accorder des avantages fiscaux et financiers, exorbitants à certains égards, aux IDE. Notre pays n'avait pas d'autre choix. Nous avions ratifié des années plus tôt les principales conventions multilatérales de protection des investissements internationaux (Convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre Etats et ressortissants d'autres Etats, Convention portant création de l'Amgi, Convention pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitres étrangères, etc.) et de nombreuses conventions bilatérales privilégiant le principe du retour immédiat sur investissement au détriment de celui de la réalisation dûment constatée des engagements contractuels de l'investisseur. Il était difficile pour l'Algérie de refuser a priori, les privilèges revendiqués par les entreprises étrangères au moment où notre pays ne disposait pas encore des principaux facteurs d'attractivité que sont une main-d'oeuvre qualifiée, une administration efficace et réactive, des infrastructures modernes, des services à la clientèle de qualité ou encore un système bancaire performant. Seules des incitations de type fiscal et financier concédées, il est vrai, de façon indiscriminée, pouvaient servir d'ersatz à l'ensemble des autres facteurs d'attractivité. Le bilan que le gouvernement algérien dresse de l'ordonnance du 20 août 2001 comme de celle du 15 juillet 2006 qui la modifie, n'est pas très positif. Il apparaît rétrospectivement que les seules entreprises étrangères qui se sont intéressées au marché algérien sont celles qui étaient attirées par le libéralisme de la réglementation des changes. A l'inverse, les entreprises internationales qui auraient pu contribuer, pour une part prépondérante à la réhabilitation du tissu industriel national et moderniser le secteur des services, ont boudé notre pays pour la simple raison que les facteurs d'attractivité auxquels elles sont le plus sensibles ne sont ni l'exonération des charges fiscales ni la faculté pour elles de transférer librement leurs dividendes. Il fallait tirer les conséquences de cette double impéritie. Si l'Algérie ne peut être considérée comme «un pays importateur de pauvreté» (A.Benbitour) au regard des déséquilibres enregistrés au niveau de la balance des services facteurs (celle qui retrace les mouvements du capital et du travail), elle n'a cependant pas vocation à se transformer en paradis fiscal. Aussi bien, l'affirmation de A. Benachenhou selon laquelle «les [entreprises étrangères] investissent, produisent et dégagent de la valeur ajoutée, elles recrutent et forment. Elles ont fait reculer la pénurie et amélioré la qualité(...)» (Le QO du 21 septembre 2006) mérite d'être fortement nuancée à la lumière des sommes transférées à l'étranger par ces entreprises au titre des dividendes perçus (quelque 50 milliards de dollars au moins entre 2002 et 2009) et du bilan qu'on est fondé à dresser de leur apport à l'économie nationale. Il faut suivre la réalisation de l'investissement étranger C'est dans ce contexte qu'intervient la LFC pour 2009. Contrairement à ce qu'ont soutenu, des mois durant, ses détracteurs, la LFC pour 2009 n'est pas venue s'inscrire en faux contre la libéralisation de l'économie nationale ni remettre en cause les règles du marché. Il faut rappeler à ceux qui feignent l'ignorance, qu'un pays très fortement dépendant de ses réserves pétrolières (dont il ne contrôle ni le prix ni la durée prévisible), gratifié d'une aubaine inespérée durant la période 2005-2008 (où le prix du pétrole avait grimpé à 150 dollars le baril), n'a pas les moyens d'importer pour 40 milliards de dollars, chaque année, de biens d'équipement et de biens de consommation qu'il est en mesure de produire localement, du moins pour 60% d'entre eux d'ici 2015 et pour 85% d'ici 2020. Aussi bien, convient-il de se réjouir de la décision du pouvoir politique d'élaborer une véritable stratégie industrielle qui devra être discutée et soumise à l'ensemble des opérateurs économiques et des partenaires sociaux, de sorte que les lobbies de l'importation et les réseaux prédateurs, sans cesse à l'oeuvre pour affaiblir notre pays, ne viennent pas la remettre en cause. L'Algérie a assurément besoin d'investissements étrangers. Elle doit leur offrir le cadre juridique le plus stable et le plus sûr, tel qu'il ressort en particulier des conventions multilatérales et bilatérales conclues par l'Etat algérien et dont la violation par lui, engagerait sa responsabilité internationale. Tout le monde en est bien d'accord. Mais une fois le projet d'investissement agréé, il convient d'en faire suivre la réalisation non pas seulement par l'Andi qui a accompli depuis sa création un travail remarquable, mais également par les autres administrations et organismes chargés de veiller au respect des obligations de l'investisseur étranger, celles-ci étant la contrepartie des avantages octroyées. Il conviendra certainement de faire jouer, plus souvent que de coutume, l'article 33 de l'ordonnance du 20 août modifiée et complétée, qui prévoit qu'en cas de non-respect des engagements pris, l'ensemble des avantages accordés à l'investisseur lui sont retirés, en sus des dommages et intérêts que ce dernier devra verser à l'Etat algérien pour le préjudice subi. A titre d'exemple, nous n'avons pas suivi la postprivatisation du complexe d'El Hadjar et laissé Mittal prendre des engagements qu'il se savait parfaitement incapable d'honorer. L'importation du rond à béton dans un pays qui dispose de laminoirs pour 1,5 tonne, n'est pas acceptable. Il ne suffit pas d'offrir aux repreneurs étrangers d'excellentes opportunités pour remettre sur pied un appareil de production potentiellement viable, il faut encore que les autorités algériennes instaurent des mécanismes de contrôle et de surveillance postprivatisation, de nature à éviter un gaspillage de nos ressources en devises, notamment à travers l'achat d'intrants disponibles sur le marché algérien. L'Etat algérien au service du développement national Ceci concerne le passé. Pour l'avenir, il convient d'être optimiste au regard des éléments suivants: 1. La volonté des autorités algériennes de privilégier le partenariat avec les entreprises étrangères qui disposent d'une expertise de tout premier plan ainsi que de capitaux dans le domaine de la construction automobile et de la logistique portuaire dont on ne s'est avisé de l'importance primordiale pour le développement du pays que tout récemment; 2. La modernisation du management du secteur public, ce qui passe au minimum par une évaluation très rigoureuse du bilan des fonds de participation (1988-1995), des holdings publics (1995-2001) et des SGP ainsi que, probablement, une révision complète du rôle de l'Etat actionnaire; 3. La poursuite de la mise à niveau des PME/PMI du secteur privé, qui doivent se préparer à abandonner les rentes de situation constituées par les commandes de l'Etat et des collectivités locales pour revoir leur modèle d'organisation et de gouvernance, s'habituer à une utilisation judicieuse de leurs ressources humaines (notamment en matière salariale et de promotion dans la hiérarchie des responsabilités) et s'acquitter de leurs obligations fiscales et parafiscales à l'égard de la collectivité nationale; cette dernière exigence sous-entend que les pouvoirs publics adoptent une attitude de moindre complaisance à l'égard du marché informel, ce qui ne signifie pas que ce dernier doive disparaître; 4. Le potentiel de substitution aux importations est gigantesque comme le prouve éloquemment le cas des cimenteries et des marbreries et c'est pour le valoriser au maximum qu'est intervenue la LFC pour 2009 qui accorde la priorité aux investissements structurants qui réduiront dans les années qui viennent la part des intrants, des biens intermédiaires et des produits finis importés. Les réactions hostiles à la LFC émanent essentiellement des milieux intéressés directement ou indirectement au maintien ad vitam aeternam de la dépendance de l'Algérie à l'égard de l'extérieur. Ceci dit, il n'est pas jusqu'au recours obligatoire au Credoc qui ne témoigne de la volonté de A.Ouyahia et de K.Djoudi de faire cesser le gaspillage de nos devises et de rappeler aux opérateurs économiques tentés de faire un usage immodéré du simple paiement Swift que le Dinar ne possède qu'une convertibilité commerciale, laquelle n'a été instituée (faut-il rappeler la téléologie des accords conclus avec le FMI?) que pour favoriser l'achat de biens indispensables à la redynamisation de l'appareil de production et non pour creuser à tous crins le déficit de la balance commerciale et conséquemment celui de la balance des paiements courants. 5. La détermination du pouvoir politique à lutter contre la corruption à quelque niveau où elle se situe et quelle que soit la qualité des personnes suspectées. Aucun investisseur étranger ne fera confiance à notre pays si le niveau atteint par la corruption ne baisse pas de plusieurs crans. Aucun jeune Algérien n'osera créer sa propre start-up s'il est convaincu que tôt ou tard, il sera l'otage d'une bureaucratie vénale. Il ne s'agit pas d'éradiquer la corruption, cet objectif n'ayant été atteint nulle part. Il ne s'agit pas non plus de faire de 35 millions d'Algériens, des citoyens vertueux et pas davantage de mettre derrière chaque gestionnaire un gendarme et de s'assurer par-dessus le marché, que ledit gendarme est insoupçonnable ou alors nous serions en marche vers le fascisme. Il s'agit de faire diminuer de façon significative la pratique des pots-de-vin, de sorte que celle-ci ne soit plus un frein à l'acte d'investissement, à l'acte de création, aux échanges. Le président de la République, le Premier ministre et le DRS sont résolus à assainir l'économie algérienne, une fois pour toutes; faisons-leur confiance mais que chacun balaie devant sa porte. A titre d'exemple, le ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales, Yazid Zerhouni, ne peut obtenir aucun résultat, par sa seule volonté, lorsqu'on sait le pourcentage invraisemblable d'élus locaux de toutes tendances et de tous acabits qui sont impliqués dans des affaires de corruption et de détournement des biens publics. Il faut cesser d'accabler le pouvoir central et diriger enfin son regard vers toutes les féodalités locales qui prospèrent jour après jour sur l'ensemble du territoire national. Enfin, il faut protéger les commis de l'Etat qui peuvent payer de leur vie la lutte contre la corruption, à l'exemple du valeureux Colonel Ali Tounsi dont la disparition dramatique ce jeudi, laisse un vide incommensurable au sein de l'appareil sécuritaire algérien. Nos magistrats, nos inspecteurs, nos contrôleurs dont le dévouement est indéniable sont en droit d'exiger de l'Etat qu'il les protège dans l'exercice de leur mission. Aux dernières nouvelles, ce serait déjà chose faite. (*) Professeur en droit des affaires [email protected]