Leur existence repose sur d'autres bases que sur des valeurs d'un Etat trilingue et multiculturel. Le caractère néfaste de la situation des écrivains algériens, a été au coeur d'une qaâda, initiée par l'espace culturel les Mille et Une News, lundi dernier, à la librairie Socrate. A bâtons rompus, quelques écrivains romanciers et journalistes à l'instar de Hamid Grine, Zentar, Adlane Meddi, Youcef Sayeh...y ont dénoncé le climat actuel, les pressions et le marasme culturel qui perdure, dont le bout du tunnel est loin d'être atteint. Le souci des uns et la crainte des autres du pire qui pourrait venir si cette situation perdure, voilà, en quelques mots, la situation dans laquelle se retrouve l'édition du livre en Algérie, déplorée par les quelques intéressés eux-mêmes, ce qui en dit long sur l'avenir proche. «Partout également, la littérature joue un rôle de premier plan dans l'affirmation et la reconnaissance de ces collectivités nouvelles. En Algérie, on assiste à une véritable recrudescence de la qualité littéraire, qui ne nourrit ni le théâtre, ni le cinéma..., ce qui influera sur la société et engendrera automatiquement son déséquilibre.» La majorité de nos écrivains jaloux de leur patrie ne se reconnaissent guère dans l'unilinguisme proposé par les gouvernements successifs. Leur existence repose sur d'autres bases, plus diffuses, que motivent un profond désir d'accommodement et un attachement aux valeurs d'un Etat trilingue et multiculturel. Car ces derniers ne reconnaissent pas encore, contrairement aux praticiens, la valeur des arts comme catalyseurs de croissance économique et de progrès social. Ainsi, les arts ont été marginalisés et souffrent d'un manque d'infrastructures. A cette situation, ces passionnés de la plume se sont montrés déçus déclarant que «la myopie est trop grande actuellement dans les centres de décision: anxieux de la goutte qui leur pend au bout du nez, ces acteurs ne voient pas le tournant qui approche et qu'ils risquent de manquer». Une nouvelle génération de poètes et de romanciers a permis de renverser des années d'oppression et de silence et de susciter une «étonnante» modernité littéraire, capable de s'approprier la difficile histoire de ce peuple. En Kabylie par exemple, le mouvement d'affirmation identitaire, né dans la région au début des années 1970, s'est fondé sur le drame d'une culture dominée linguistiquement surtout, dont il fallait, par le théâtre, la poésie et la chanson, marteler l'existence autant acharnée que précaire. Certains écrivains importants, des poètes et dramaturges surtout comme Mouloud Maâmeri, Mouloud Feraoun ont fait de l‘invisibilité réelle et symbolique de la communauté le centre de leur oeuvre. «Si les oeuvres publiées se sont concentrées sur les problèmes d'identité, les oeuvres subséquentes ont plutôt cherché à déplacer le problème de l'affirmation collective vers des lieux esthétiques plus expérimentaux et plus formels. Ces déplacements n'ont pas signifié nécessairement la mise au rancart de la question cruciale de la survie collective et de la recherche de la différence au sein du pays à l'uniformité hégémonique.» Toutes ces oeuvres oscillent donc entre le collectif et le singulier, entre la dénonciation et l'acceptation des conditions d'existence de la minorité, et enfin entre la conformité au sens et la rupture même avec des formes littéraires. Pour la cohabitation des langues entrelacées, nombre d'oeuvres littéraires mettent en scène la coexistence de deux identités linguistiques, à certains moments irréductibles jusqu'au tragique de la dépossession de soi, à d'autres moments chargées, au contraire, d'un immense potentiel libérateur. Ces textes, ludiques ou tragiques, apparaissent, où le sens glisse, devient incertain, miroite entre des codes linguistiques tant complémentaires que concurrents. Chacun y va de son intervention, sachant que le chemin est long et le combat dur, mais ce n'est pas une raison de baisser les bras malgré toutes ces entraves. «Certes, la circulation des livres reste toujours freinée par la pénurie de librairies et de bibliothèques. Malgré de fortes avancées sur le plan des médias, ces littératures sont vouées le plus souvent à la marginalisation et même au silence. Cependant, on ne saurait nier les efforts de quelques hommes et femmes de bonne foi pour leur apport à cette noble mission. Tout cela ne suffira pas à assurer la permanence et la survie de cette passion, mais ça confirme pour l'instant son puissant désir de durer et de s'épanouir.»