La Ligue arabe, l'Union africaine et l'Organisation de la conférence islamique se sont aplaties pour faire office de tapis en velours sur lequel glissait le lobby juif. L'Unesco a finalement son nouveau directeur général en la personne d'Irina Bokova, une Bulgare de 57 ans, polyglotte, née à Sofia. Le verdict est tombé avant-hier, au bout du cinquième round d'une élection époustouflante. La leçon à retenir n'est pas tant le chapitre historique de cette élection puisque jamais auparavant une femme n'avait été élue à la tête de l'Unesco, mais plutôt la nouvelle gifle que viennent de recevoir les Arabes. A se demander naïvement comment et par quel phénomène une poignée d'Israéliens arrive à faire capoter l'élection à la tête de l'Unesco d'un candidat soutenu par la Ligue arabe, l'Union africaine et l'Organisation de la conférence islamique. Tout ce beau monde s'est aplati pour faire office de tapis en velours sur lequel glissait le lobby juif qui a fait de cette élection un véritable acte de guerre. Les observateurs politiques comparent cet échec à la raclée reçue en juillet 1967 par les armées arabes. Pour l'élection à la présidence de l'Unesco, le lobbying a fonctionné à plein régime. La quasi-totalité des intellectuels juifs, comme Bernard Henry Lévy, Claude Lanzmann, Elisabeth Chemla...ont été rappelés en renfort pour la circonstance, en plus d'une campagne médiatique des plus féroces pour barrer la route à Farouk Hosni. Face à cet arsenal intellectuel et médiatique, il y avait le vide. Farouk Hosni n'a aucune caution des intellectuels arabes. Avec une bataille de retard, ces derniers n'ont réagi qu'après que le verdict des urnes soit tombé. Hier, alors que les juifs savouraient cette autre victoire contre les Arabes, la presse et les intellectuels égyptiens se sont déchaînés contre le «lobby juif» et le «choc des civilisations». Le quotidien gouvernemental Al Ahram a attribué ce cuisant échec à «des attaques indignes de la part d'intellectuels juifs en France» et au travail de sape «de l'ambassadeur américain à l'Unesco, ainsi que des médias sionistes en Europe et aux Etats-Unis». Hosni Moubarak qui a longtemps flirté avec les Israéliens a fini par se brûler les ailes. Dès la défaite, des voix se sont élevées dans les milieux pour fustiger le «mouvement sioniste», mais aussi dénoncer le peu de considération des Occidentaux pour les pays du Sud. Voilà qui scelle alors le sort de l'Union pour la Méditerranée. Les bombardements de l'armée israélienne ont mis à terre ce projet et cette élection l'a achevé. Ce fiasco électoral n'est donc qu'une juste rétribution aux choix politiques de l'Egypte officielle, très contestés dans la région. L'appétit insatiable pour le leadership a aveuglé le président égyptien qui s'obstinait à soutenir un candidat dont la réputation a été écornée par des déclarations dans lesquelles il affirmait qu'il «brûlerait lui-même» les livres israéliens qu'il trouverait en Egypte. Il y a tout juste neuf mois, quand les populations croulaient sous le déluge des bombes de l'armée israélienne à Ghaza, Hosni Moubarak disputait le leadership arabe pour se positionner comme partenaire incontournable de la région. L'Egypte de Moubarak a torpillé toutes les initiatives arabes allant jusqu'à cautionner implicitement l'offensive israélienne de Ghaza. Au sortir de la guerre, alors que les pays arabes menacent, en représailles à l'opération israélienne à Ghaza, de geler toutes les activités de l'Union pour la Méditerranée (UPM), l'Egypte, qui copréside l'UPM avec la France, renoue le dialogue. De toute évidence, les pays arabes jubilent dans cette débâcle égyptienne face à l'ennemi israélien. Cette Egypte officielle qui s'arroge le droit de parler au nom des Arabes et qui fait de la Ligue arabe une annexe de son ministère des Affaires étrangères. Premier pays arabe à avoir signé la paix avec Israël en 1979, l'Egypte qui s'est engagée dans les efforts de paix israélo-arabes a compris, à ses dépens, que la normalisation avec Israël est loin d'être acquise. Et dans les dérives de Moubarak c'est la grandeur de l'Egypte, son prestige et son rôle régional qui en prennent un sérieux coup. C'est l'Egypte de Boutros Boutros-Ghali (ancien secrétaire général de l'ONU), l'Egypte de Mohamed El Baradei (chef de l'Aiea) et celle de Ahmed Zeweil (prix Nobel de chimie) qui, aujourd'hui, est incapable de présider les destinées de la culture et de l'éducation du monde.