L'islamophobie nourrit l'extrémisme, le respect de la différence le tarit Un grand malentendu, nuisible pour tous, semble se compliquer entre l'Occident et le monde musulman, alors que tant de valeurs et de faits historiques les unissent et qu'ils sont imbriqués. L'Occident, schématiquement, prétend détenir la raison moderne et le seul modèle émancipateur; fait aggravant, il monopolise les instruments de décision et cherche à imposer son point de vue. L'Orient musulman, tout aussi schématiquement, prétend détenir les vraies valeurs humaines et spirituelles, mais, fait contreproductif, il résiste de manière peu réfléchie, pas assez créative. Même si chacun a une part de vérité, nul n'en a le monopole. Ce malentendu est entretenu par des forces qui divisent et opposent les peuples. Le racisme antimusulman prend de l'ampleur en rive Nord. Au Sud, le ressentiment musulman, couplé à des formes de désespoir et de fermeture, s'accentue. C'est avec une inquiétude croissante que les démocrates et les humanistes observent l'avancée de l'extrême droite ou de ses idées au Nord et le mouvement de repli au Sud. L'idéologie d'extrême droite en Europe déborde de ses cercles traditionnels, pour toucher de larges populations désinformées. Elle profite des contradictions de mouvements islamiques archaïques, produits de l'ignorance, des errances et des manipulations, pour alimenter la propagande de l'islamophobie haineuse, pour faire diversion aux problèmes politiques. Humaniser la société moderne en crise La haine contre les musulmans a atteint des cimes dans certains milieux en Europe, alors que des problèmes de société de fond se posent, auxquels les citoyens musulmans instruits, pieux et raisonnables peuvent contribuer à solutionner. Il s'agit d'humaniser la société moderne en crise, prise dans des impasses mortelles. Des médias et des partis politiques empêchent la symbiose des cultures et amplifient à dessein les comportements d'extrémistes. Ils se sont inventés un nouvel ennemi. Les musulmans sont devenus un enjeu électoral, un fonds de commerce et idéologique. Source d´inquiétude pour les uns, énigme pour les autres, les musulmans, témoins d'un sens singulier de la vie, continuent à susciter autant d´interrogations que d´hostilité. Des médias occidentaux et orientaux parlent de «choc de civilisation» pour faire diversion, ou par ignorance. En Occident, par exemple, la plupart ont appelé les massacres israéliens à Ghaza une action «défensive» ou «guerre» pour assurer la sécurité d'Israël. En Suisse, pays démocratique, considéré, à juste titre, comme un havre de paix, digne de la philosophie pacifiste de Jean-Jacques Rousseau et du principe de neutralité, va être mise à l'épreuve au sujet du culte musulman. Un événement inédit, lié pourtant à une question technique mineure, risque de troubler le climat de tolérance qui a toujours caractérisé ce pays exemplaire. Le mouvement xénophobe d'extrême droite a imposé, sur la base d'une pétition de cent mille signatures, la tenue d'un vote populaire, qui aura lieu en novembre prochain, afin d'interdire la construction de minarets des mosquées. Des démocrates, des humanistes et des chrétiens tentent de s'y opposer. Tout comme le gouvernement en place, la Conférence des évêques suisses a dit non à l'initiative contre la construction des minarets. Elle s'est exprimée sur ce sujet considérant à juste titre que c'est une question politique qui porte sur une religion et sur les droits de croyants. Les minarets, comme les clochers des églises, sont un signe de la présence publique d'une religion donnée, qui mérite le respect. Normalement, l'édification et l'usage des minarets sont régis par les seuls règlements de construction. Les mouvements favorables au vivre-ensemble invitent à repousser l'initiative, non par méconnaissance des difficultés, mais parce qu'ils sont cohérents avec leurs valeurs et les principes démocratiques de la Suisse, qui se retrouve face à une difficulté fabriquée par l'extrême droite. L'issue du vote reste incertaine, tant les préjugés et les quiproquos dominent. L'interdiction générale de construire des minarets, simple question technique, risque de brouiller abusivement l'image de la Suisse, fragilisera symboliquement les efforts de paix entre les communautés, entre l'Occident et l'Orient. Il faut comprendre le contexte et établir une attitude d'alerte vigilante, d'accueil et de coopération réciproque dans le dialogue, pour éviter que les extrémistes de tous bords exploitent la situation. Les xénophobes ne doivent pas ternir une société démocratique et perturber la relation entre les deux rives de la Méditerranée. D'autant que la Suisse fait des efforts pour répondre à des besoins de la communauté musulmane, telle la formation des imams. Ils pourraient bientôt peut-être recevoir un enseignant en Suisse, à l'Université de Fribourg, afin que les religieux soient bien informés des réalités suisses. Le Master international études islamiques et arabes par Internet, de l'Université Ouverte de Catalogne (www.uoc.edu), pourrait contribuer à cette formation, si les autorités concernées en font la demande. Il est temps de consolider la coopération en matière culturelle et éducative, afin de dépasser les faux débats. L'islamophobie, qui confond à dessein islamisme et Islam, nourrit l'extrémisme, alors qu'au contraire, le respect du droit à la différence le tarit. La preuve, les citoyens européens de confession musulmane sont perçus comme des citoyens à part entière, malgré la propagande raciste du choc des cultures, le recul des études en islamologie et orientalistes, et la priorité donnée aux enquêtes de type «policière» par des chercheurs qui haïssent leur objet d'études, et fabriquent des notions de diversion comme le «djihadisme». Autre exemple positif, une cellule de veille au niveau du tribunal de Lyon en France a été mise en place au sujet des actes antimusulmans. Des communautés musulmanes se développent, des mosquées se construisent, l'église catholique dialogue de plus en plus, sans oublier que la fiscalité des dons aux associations religieuses est favorable. Les citoyens européens attendent de l'Etat de leur pays qu'aucune préférence religieuse ne soit marquée, afin que la liberté de culte soit effective. Dans ce sens, est favorisée la création de Conseil du culte musulman, même si des soucis légitimes de sécurité et de cohésion sont parmi les causes. Tout le monde sait que le fait que des musulmans s'organisent est un acquis. Cependant, des problèmes de fond se posent. Des clivages et de l'incompétence minent les rapports des musulmans entre eux et avec la société. C'est à l'unité, au rassemblement et au dialogue citoyen qu'il faut appeler. Car l'islamophobie n'a pas disparu et risque de s'amplifier en période de crise économique, «l'étranger» est toujours un bouc émissaire pour les ignorants. Aux USA, par exemple, une récente étude montre que trois Américains sur quatre ne savent pas ce que c'est le Coran et considèrent que «Islam et violence» sont liés. Les musulmans ne doivent pas oublier ce qui reste à faire pour qu'ils assument leurs responsabilités, pour que le monde arabo-musulman ne prête pas le flanc et tienne sa vraie et digne place dans le monde. C'est-à-dire pour que la simplification ne les réduise pas, à leurs yeux, au statut de simples victimes et, pour les autres, à une source de problèmes. Même si certains s'inventent un nouvel ennemi pour faire diversion, il n'est pas exact que tout l'Occident assimile «musulman» et «fanatique». Les oppositions internes en Suisse face à l'initiative de l'extrême droite le prouvent. Cette tentative xénophobe d'interdire les minarets est le prix amer de la démocratie. Il faut en effet garder son sang-froid, en débattre sereinement, par des moyens démocratiques et respect de la loi. Sur le fond, reste à communiquer, expliquer, dialoguer. Rouvrir des espaces de rencontre entre les deux rives de la Méditerranée, sans jamais désespérer, est un combat de toujours. La tâche est de mettre fin aux malentendus, de discerner, ne pas faire endosser, pour les uns à la religion, à l'Islam en particulier, ce qui relève des incohérences de la politique, et pour les autres à la raison, ou à la démocratie sous prétexte des risques qu'elle fait encourir. Personne de sensé ne peut refuser le principe du dialogue autour de la Méditerranée pour établir une Cité juste. Solidaire des groupes qui souffrent de discriminations La recherche d'un nouvel ordre régional et international moins inégalitaire et d'une nouvelle civilisation, qui nous fait défaut, exige l'interconnaissance, un diagnostic sans complaisance et une vision d'avenir. Les conditions pour ouvrir de nouvelles perspectives ne sont pas données d'avance. Raison de plus pour oeuvrer ensemble, en tenant compte des acquis et des échecs des expériences en ce domaine, afin de ne pas accentuer davantage les doutes et les écarts. Aujourd'hui, nous avons un destin et une responsabilité communs. Notre histoire commune est marquée par la coexistence et les convergences, plus que la confrontation violente, certains veulent imposer de l'amnésie. Pour être fidèles à nos Messages ou philosophies, devenir crédibles et pratiquer les principes de paix, et les faire adopter par les masses, nous devons être justes et solidaires de manière non sélective, des peuples et groupes qui souffrent de discriminations, au Sud comme au Nord. Dans ce sens, il y a lieu de contribuer à la connaissance objective de l´autre. Le dialogue n'a pas pour but de faire diversion, de justifier des situations intolérables, de consoler, ou faire oublier les rapports de force, ni de convertir, mais, premièrement, rappeler que nos convergences sont plus importantes que nos divergences. Deuxièmement, échanger, apprendre à se connaître en vue d'aboutir à des normes communes, universelles. Troisièmement, agir ensemble dans le monde pour le bien et alerter sur les dérives. Interconnaissance, parole commune et émulation, trois objectifs fondés sur le respect du droit à la différence et la nécessité du vivre-ensemble. Il n'y a pas d'autre sage alternative. (*)philosophe Mail: [email protected]