Aux USA, malgré des divergences avec des aspects de politiques européennes à courte vue, malgré la diversité ethnique et culturelle et un contexte de modernité libérale avancée, l'islamophobie reste visible. Les sionistes ont tout fait pour opposer le monde musulman et les USA. Il est urgent d'améliorer nos relations avec la première grande puissance, avec le souci de franchise et d'indépendance. Les discours dominants inculquent une perception essentialiste de l'autre. Chacun voit l'autre comme un adversaire, bloc monolithique, ne reconnaît pas le droit au pluralisme et s'enferme. En Orient les termes: l'Occident, la chrétienté, l'impérialisme, se succèdent souvent sans que la distinction soit faite. Alors qu'il faut discerner et savoir que l'Occident n'est plus chrétien, au sens où il l'était il y a des siècles. Nous avons des amis chrétiens, des humanistes, des athées et des croyants de toutes races, cultures et pays. En Occident, la désinformation bat son plein. Les amalgames sont entretenus entre -musulman et fanatique-, même si tous les Occidentaux ne succombent pas à la propagande. Contrecarrer la désinformation L'ambition impériale des USA reste perceptible, les divergences entre les religions, les courants d'opinions et les conflits d'intérêts n'ont pas disparu, on constate une recrudescence de la violence et de l'intolérance, une guerre sourde voire brutale est flagrante, mais il est du devoir de tout intellectuel, dans la vigilance, de contrecarrer la désinformation, de travailler à l'amitié, de résister de manière judicieuse, déminer les pièges et éviter les provocations, afin de ne pas donner de l'eau aux moulins des va-t-en guerre, ni de nourrir la logique conflictuelle nuisible pour tous. Aux USA, malgré des divergences avec des aspects de politiques européennes à courte vue, malgré la diversité ethnique et culturelle et un contexte de modernité libérale avancée, l'islamophobie reste visible. L'islam est méconnu, pris comme cible, stigmatisé. Pourtant l'esprit des fondateurs des USA n'a rien à voir avec l'extrémisme et la xénophobie; bien au contraire. Cependant, la culture des citoyens américains au sujet de l'Islam est faible et caricaturale. La plupart des médias et les industries cinématographiques le présentent de manière univoque, et erronée, comme une religion intolérante, violente et incompatible avec le progrès. Des exceptions sont heureusement enregistrées: Michael Hart, scientifique américain, dans son fameux livre The 100: a ranking of the most influential persons in history écrit avec courage: «Certains lecteurs seront peut-être surpris de me voir placer le Prophète Mohammad en tête des personnalités ayant exercé le plus d'influence dans le monde...il est le seul homme qui ait réussi par excellence sur les deux plans: religieux et séculier.» D'un autre côté, les musulmans sont inopérants en matière de riposte réfléchie, de communication crédible et performante. Il faut réapprendre à communiquer, à donner l'exemple, afin que les qualités mohammadiennes soient visibles en chaque musulman et connues des Américains. Des intellectuels conservateurs et sionistes intoxiquent les opinions et enferment l'Islam dans des clichés négatifs. Ils cultivent le ton pamphlétaire, l'acharnement simplificateur et réducteur, l'amalgame contre le musulman. Alors qu'il n'y a pas d'hostilité entre les civilisations, ils cherchent à tout prix à imposer la logique du choc. Ils omettent de prendre en compte les racines communes des religions et civilisations qui existent comme des systèmes de sens aujourd'hui remis en cause. La puissance médiatique des lobbys nuisibles à l'Islam est telle qu'elle arrive à faire croire aux Américains qu'Israël est «la seule démocratie de la région», alors que c'est un système qui tue des civils, des humanitaires, pratique l'apartheid et la colonisation. Ces lobbys trompent l'opinion internationale en manipulant et en renversant les rôles. Par exemple en ne parlant que du seul prisonnier israélien à Ghaza qu'ils définissent comme «otage» aux mains du Hamas. Cela occulte les 12.000 prisonniers palestiniens détenus dans les geôles israéliennes. L'immense majorité des prisonniers sont des politiques, condamnés pour leur lutte pacifique pour l'indépendance. Israël est un régime qui emprisonne n'importe quel citoyen sans avocat, sans jugement, sans motif, sans limitation dans le temps. Cela devrait rappeler à l'opinion occidentale le comportement de l'occupant nazi. Assumer nos responsabilités Paradoxalement, dans ce contexte de la répression, de l'arrogance et de la désignification du monde, l'Islam qui résiste est pris comme bouc émissaire. Pourtant, la raison exige d'analyser de manière objective les causes des réactions parfois aveugles des musulmans, d'analyser le Coran et les sociétés musulmanes concrètes, avec les multiples expériences, interprétations et formes de pratiques culturelles qu'elles produisent, de tenir compte des conditions historiques et de reconnaître les capacités d'humanisation et de civilisation, d'aspirations aux changements et à la liberté, sans renier leurs valeurs, qui traversent ces sociétés. On doit assumer nos responsabilités afin que les citoyens américains découvrent le fait que la question palestinienne est politique et que l'Islam est la religion qui vise à responsabiliser, à libérer les personnes et à socialiser les rapports humains, sur la base d'un sens précis de la vie humaine et sa destinée. C'est un Message révélé qui ne contredit en rien les valeurs de liberté, d'égalité et de pluralisme, bien au contraire. La Déclaration d'indépendance des USA est un texte qu'un musulman peut faire sien, car elle rappelle la valeur de la liberté et en particulier la liberté de conscience. Pour les Pères fondateurs de la Constitution américaine, la liberté de conscience est l'essence même de la doctrine américaine. Comme le notent des chercheurs spécialisés, pour George Washington, le premier président des USA, l'Amérique devait accueillir «les opprimés et les persécutés de toutes les nations et toutes les religions», notamment chrétiens, juifs et musulmans. La terre d'Islam, de Cordoue à Baghdad, en passant par Fès, Tlemcen, Béjaïa, Constantine, Kairouan et Alexandrie, durant des siècles, a été par excellence une terre d'hospitalité et de refuge pour tous les opprimés et persécutés, à commencer pour les juifs. John Adams, le deuxième président des USA, a affirmé que le Prophète de l'Islam est l'une des plus grandes personnalités de l'humanité soucieuse de coexistence. Thomas Jefferson, troisième président, a appris l'arabe et déclarait qu'il lisait le Coran. Durant son mandat, il a organisé un jour à la Maison-Blanche l'iftar marquant la fin du jeûne du Ramadhan. Les Pères fondateurs ont puisé aux sources des valeurs de diverses civilisations universelles, dont la musulmane, lorsqu'ils ont adopté le système politique des USA, avec leur génie propre ouvert sur le monde. Benjamin Franklin, savant scientifique et philosophique, corédacteur et signataire de la Déclaration d'indépendance et partant l'un des pères fondateurs des USA, a étudié l'Islam et les grands textes de la culture islamique. Pour exprimer son respect pour l'Islam et son attachement au vivre- ensemble, il a invité le mufti d'Istanbul de l'époque à venir présenter l'Islam aux Américains. La tolérance du Prophète de l'Islam En 1763, Benjamin Franklin prit comme exemple le Prophète compte tenu de son comportement hautement humanitaire, notamment envers les prisonniers. En effet, cette année-là des Américains, qui se disaient chrétiens, avaient massacré des Amérindiens innocents. Ces Occidentaux affirma Benjamin Franklin, étaient plus sauvages que les autochtones, en précisant que les Amérindiens auraient été respectés dans leur dignité humaine dans un pays musulman, car, a-t-il précisé, l'Islam montre de l'humanité envers les prisonniers. Durant la guerre de résistance de l'Emir Abdelkader en Algérie au XIXe siècle ce noble principe fut largement appliqué. Il y a 150 ans à Damas, son acte héroïque qui a permis de sauver des milliers de chrétiens d'une mort certaine, lors d'une discorde communautaire, est en outre une autre preuve de cette dimension exemplaire qui lui a valu la fondation d'une petite ville aux USA qui porte son nom. Comme l'Emir Abdelkader et Voltaire qui ont pratiqué l'humanisme chacun à son niveau et sa manière, Benjamin Franklin défendait le droit au pluralisme et à la liberté d'expression. Il citait souvent un principe: «Sans liberté de pensée, il ne peut y avoir de sagesse; et pas de liberté du peuple sans liberté d'opinion; celle-ci est le droit de chaque homme tant qu'il ne porte pas atteinte à la liberté d'autrui.» Il vantait le sens de la tolérance du Prophète de l'Islam, qui respectait le droit à la différence. Il exprimait son admiration au Prophète qui exigeait de ses compagnons un traitement humain des prisonniers. Benjamin Franklin a affirmé son admiration pour Saladin, le sultan au XIIe siècle qui a libéré Jérusalem en faisant preuve de miséricorde. A l'heure où le racisme antimusulman prend de l'ampleur, à cause, à la fois, de calculs politiciens étroits comme diversion aux impasses politiques, aux visées hégémoniques, et des réactions aveugles de ceux, minoritaires, qui usurpent le nom de l'Islam, la vision des Pères Fondateurs des USA mérite d'être soulignée. Le président Barack Obama, qui renoue sur le plan de la forme avec cet esprit d'ouverture, devrait savoir que les musulmans ne ressentent aucune haine contre autrui et l'Amérique, au contraire, ils aspirent à l'amitié. Ils ont simplement le droit d'être en «colère» face à la politique du deux poids, deux mesures et au vu de tant d'injustices. Le nombre de soldats étrangers en terre musulmane est dix fois supérieur à celui du temps des croisades et les investissements étrangers hors hydrocarbures y sont trois fois inferieurs à toute autre région du monde. Les musulmans sont convaincus que les paroles ne suffisent pas, ce sont les actes qui, en définitive, font la différence, en particulier au sujet de la Palestine et de la démocratisation des relations internationales. Les deux chambres parlementaires américaines, à la veille des élections de novembre prochain, semblent se bousculer pour montrer leur bonne relation avec les lobbys sionistes. Les Américains attachés à la démocratie, universelle, dans l'intérêt général, devraient pourtant imposer la création de l'Etat de Palestine sur les terres d'avant 1967. Certes, quelques régimes arabes et islamiques archaïques avaient financé le terrorisme des faibles, mais d'autres pays comme l'Algérie l'ont au contraire combattu. Les musulmans, pour gagner le coeur de tant d'Américains qui sont prêts à les écouter et défendre la justice et aider Obama qui fait des efforts pour améliorer la relation Monde musulman-Occident, commencent à prendre conscience qu'ils doivent aussi sortir de la position victimaire, corriger leur situation, résister raisonnablement et s'ouvrir au monde, sinon l'opinion américaine considérera qu'il n'y a rien de nouveau à l'Est. Plus d'une année après le discours d'Obama au Caire, les décideurs américains devraient s'attaquer aux causes des problèmes et non aux effets, se souvenir de l'idéal américain des Pères fondateurs, des principes de l'Islam et ses apports à la civilisation, pour lequel ceux-ci avaient un grand respect. Ce lien semble remis en cause, pas seulement depuis le 11.09.2001, mais surtout après Juin 1967 et depuis la chute du mur de Berlin, qui ont ouvert la brèche pour l'invention d'un nouvel ennemi, que des lobbys concoctaient depuis un moment. L'Amérique que les musulmans respectent et admirent est celle que les Pères fondateurs avaient initiée pour viser l'universel et non l'arbitraire. L'avenir du monde se joue entre l'Occident et le Monde musulman. Il est temps d'engager un vrai dialogue et non des messes pour répéter des paroles lénifiantes coupées de la réalité et qui légitiment des situations de domination. Il n'y a pas d'alternative à l'entente fondée sur le respect mutuel au sujet d'un enjeu d'avenir: la relation entre les USA et le Monde musulman. (*) Philosophe www.mustapha-cherif.net