Le constat est des plus affligeants, on écrit pour les bailleurs de fonds, semblait affirmer la majorité des intervenants. En marge du concours de scénario lancé par l'association «A nous les écrans», une conférence a ouvert le bal dimanche après-midi de ces «Journées cinématographiques d'Alger» portant sur la situation du scénario dans le Maghreb. Trois intervenants tenteront de répondre à cette question en partant de leurs expériences respectives et dans leur pays d'origine. Mohamed Bensalah, critique averti, et «cinéaste raté» d'après ses termes, néanmoins titulaire d'un doctorat en cinéma et enseignant l'art audiovisuel à l'université de Mostaghanem, soulignera d'emblée: «Le cinéma c'est d'abord des vocations», faisant remarquer un peu plus loin que c'est la bureaucratie algérienne qui a décimé le cinéma algérien. Parler de scénario c'est savoir comment il s'est construit. Slimane Benaïssa, dramaturge ayant interprété le rôle de Messali Hadj dans le dernier film d'Ahmed Rachedi, Mostepha Benboulaid, soulignera la nécessité du scénario d'abord comme élément intermédiaire entre le réalisateur et le bailleur de fonds. «Au début le scénariste était à chercher du côté des romanciers et des hommes de théâtre. Aujourd'hui, c'est plus le réalisateur qui écrit lui-même le texte. Mais un scénario n'est pas abouti tant qu'il n'est pas accompli sur scène ou en images et ce, en corrélation avec les autres éléments de la chaîne de fabrication d'un film, à savoir le jeu des acteurs, la qualité de la technique». Pour sa part, le comédien réalisateur marocain Mohamed Nadif définira le scénario en termes techniques en ce sens qu'il aide à développer l'aspect descriptif grâce aux indications données. Et de relever: «Nous avons un gros problème aussi dans l'écriture des dialogues. Au Maroc on reste attaché à une tradition française dans l'écriture de scénarios. C'est rare que le scénario vienne du scénariste. C'est souvent l'idée du réalisateur. On se retrouve à être et réalisateur et scénariste à l'exception faite de certains cinéastes comme Daoud Ould Sayed qui collabore avec le scénariste Yousef Fadel. Je suis pour la professionnalisation de ce métier.» Après une brève présentation de sa personne, le réalisateur égyptien, ancien critique de cinéma, dira, en se remémorant les conseils de son professeur de cinéma prodigués dans une école aux USA, que le réalisateur est d'abord un raconteur d'histoire. «Le scénario se doit d'être un fabricateur de surprises, il est là pour écrire avec art une histoire. Et pour ce faire, il fait appel à son originalité, sa singularité autrement dit faire sortir la perle qui est en nous, rafraîchir sa mémoire en se rapprochant le plus possible de la pureté de la musique et la noblesse de la poésie.» Pour M.Bensalah, il y a aussi différents sortes de scénario, que ce soit pour le court métrage, le documentaire ou le long métrage. «En Algérie, les réalisateurs s'autoproclament réalisateurs et c'est très mauvais. Il y a aussi souvent des gens qui débarquent de l'étranger pour aider les jeunes à écrire, c'est aussi dangereux. On se plie à une certaine écriture en s'effaçant face à ces règles qui peuvent ne pas correspondre forcément au rythme, tempo que je veux pour mon film.» La langue, autre obstacle dans l'écriture scénaristique, a été longtemps débattue mettant l'accent sur l'impossibilité d'adapter certaines situations en arabe dialectal. Surtout dans les dialogues. «Je considère qu'un écrivain écrit le silence des gens. Il fait dire ce qui n'est pas audible. L'arabe dialectal a des limites liées aux limites de la société arabe. C'est pourquoi il faut savoir trouver comment dépasser ces obstacles pour faire montrer de façon intelligente ce qu'on veut transmettre. Il faut unifier la langue et trouver la manière pour exprimer la chose. L'image est un langage d'abord auquel il faut s'habituer.» Et Ahmed Attef de rétorquer: «Mais qui a dit que les langues dialectales ne peuvent pas innover et créer? Il faut qu'on préserve notre identité culturelle et ne pas être esclave des au-tres. Prenez comme exemple la simplicité du cinéma égyptien proche de la masse.» Abondant quasiment dans le même sens, Mohamed Nadif fera remarquer qu'aujourd'hui le Maroc possède de bons scénaristes depuis que les chaînes de télé comme la 2M pensent à diffuser des films qui s'adressent d'abord à la population marocaine. «Nous avons des scénaristes professionnels pour le public marocain.» Pour Mohamed Bensalah, un scénario est de toute façon en constante évolution et poursuit sa construction à différents niveaux (montage, etc.): «Il n'y a pas de scénario immuable. Le scénario est libre et ne naît qu'à partir de celui qui le lit. Le cinéma n'a pas de grammaire, n'a pas de modèle unique.» Finalement, on écrit pour qui alors? Pour les bailleurs de fonds, rétorquera la majorité. Un peu cynique tout de même. Et Slimane Benaïssa de tempérer avec fermeté et un brin d'ironie: «Pour faire un film algérien il faut d'abord des fonds algériens. On est tous dans des situations de compromis. Même si le cinéma est tenu par des producteurs, il faut savoir convaincre ses idées et aller avec ses stratégies. On verra après comment faire quand la caméra est là et comment tricher là encore», ceci pour répondre un peu à un jeune garçon qui évoquait certains sujets qu'il hésitait à aborder dans son scénario, allusion faite à la censure. «Vous avez toute la liberté», dira ce membre de l'association «A nous les écrans».