Sur les lieux, rien ne semble donner l'impression d'un quelconque problème. Située au milieu du village, la zaouïa accueille toujours des visiteurs en quête de bénédiction du cheikh. La zaouïa de Sidi Ali Moussa est à quelques centaines de mètres du chef-lieu de la commune de Souk El Tnine, l'une des plus grandes confédérations des Maâtkas. Depuis près de deux siècles, l'héritage du fondateur de ce lieu de paix suscite encore une polémique et des discordes alors que ce lieu hautement symbolique a pour vocation première d'unir les gens et d'aplanir leurs différends. Alors que d'un côté, le village Izaouiyen, situé aux alentours de la zaouïa, se dit l'unique héritier légitime de l'ancêtre fondateur, les neuf autres localités voisines contestent ce qu'elles considèrent comme une mainmise. Tout récemment, des représentants des neuf villages ont adressé un courrier au ministère de la Culture dans lequel ils s'élèvent contre la décision de classement de la zaouïa au patrimoine national et mondial. Au village Izaouiyen, l'on se félicite de cette démarche qui vise à protéger leur lieu de culte. Des voisins que tout oppose alors que tout converge pour les unir. Alors, nous avons entrepris un pèlerinage en direction de la zaouïa de Sïd Ali Moussa pour comprendre les origines de ce différend qui a survécu à deux siècles de colonialisme lequel a grandement alimenté le conflit afin de diviser. Sidi Ali Moussa qui a donné son nom à ce lieu n'en est pas, en fait, le fondateur. C'est Mohammed Ben Youssef qui, au quatorzième siècle débarqua dans les hauteurs des Maâtkas. Les documents qui ont survécu à l'incendie qui a détruit la zaouïa pendant la présence française attestent que le maître a légué la gestion de son école à son disciple érudit, Sidi Ali Moussa. Le rayonnement de son savoir et de son enseignement à base de mathématiques, de l'exégèse et même de l'astronomie, a vite fait de donner son nom à la zaouïa fondée par son maître. A un âge avancé, le fondateur se consacrera à la méditation laissant procuration à son élève qui est devenu célèbre d'où l'appellation de la zaouïa de Sidi Ali Moussa. Cependant, quelques siècles plus tard, les avis divergent sur l'arbre généalogique. Sidi Ali Moussa n'a pas laissé de progéniture, les actuels izaouiyen se disent alors être les descendants de Mohamed Ben Youssef, ce que contestent les neuf autres villages voisins. Au mois de juin 1851, affirme le porte-parole des contestataires, se référant à des documents historiques, l'administration coloniale a placé la zaouïa sous le régime du cadastre. Cette décision a, selon lui, écarté les neuf villages de la gestion collective de ce lieu laissant le terrain libre aux habitants d'Izaouiyen. Les autres villages accusent alors ces derniers d'accaparer des biens de la zaouïa pour leurs intérêts personnels. L'administration coloniale étant au fait du différend, en usa pour alimenter l'animosité. En 1876, les autorités françaises reconnaissaient la paternité de Mohamed Ben Youssef sur les bâtisses et les biens habous. La gestion sera confiée au cheikh et à ses étudiants. La zaouïa sera évacuée pendant la guerre de Libération en 1957 avant que le ministre des Affaires religieuses ne restaure la gestion collective sept ans après l'Indépendance. Le différend et la tragédie nationale Sur les lieux, rien ne semble donner l'impression de l'existence d'un quelconque problème. Située au milieu du village, la zaouïa accueille toujours des visiteurs en quête de bénédiction du cheikh. Les gérants de la zaouïa, tous du village Izaouiyen, nous ont réservé un accueil des plus chaleureux. «Nous ne voulons pas de problèmes, nous voulons que ces gens cessent de nous intimider», déclarait de prime abord le responsable des lieux. Il parlait des neuf villages qui réclament le retour à la gestion collective. «S'ils ont une seule preuve qu'ils sont les descendants de notre ancêtre, qu'ils la présentent au juge. Si la justice leur accorde ce droit, nous sommes prêts à accepter le verdict», continuait notre interlocuteur qui s'improvisait comme guide. Nos interlocuteurs révèleront qu'ils ont repris les commandes de la zaouïa au début de la tragédie nationale, en 1991 après le refus des autorités de renouveler le contrat de gestion collective. La légitimité, ils l'ont acquise après vérification de l'arbre généalogique qui les relie directement au cheikh Mohamed Ben Youssef qui a eu quatre enfants. Ces derniers ont donné naissance à des générations qui enterraient leurs morts dans le même cimetière. «Vous pouvez vérifier tous les noms sur les tombes, vous ne trouverez aucun étranger à la famille d'Izaouiyen», dira notre guide. Interrogé sur la destination des fonds propres à la zaouïa, notre interlocuteur affirmera que l'argent sert à l'entretien de l'édifice. Au sujet des affirmations des représentants des partisans de la gestion collective, selon lesquelles les Izaouiyen profitent de cet argent pour des fins personnelles, notre guide dira qu'il y a des moments où les gens puisent dans leurs fonds propres pour subvenir aux besoins de la zaouïa. Une classification mi-figue mi-raisin Ce différend, qui existe depuis longtemps mais géré avec diplomatie par les anciens, refait surface aujourd'hui avec la proposition de classement de la zaouïa au patrimoine national et mondial par le ministère de la Culture. Les représentants des neuf villages tenaient à contester vigoureusement ce qu'ils qualifient de changement de vocation. «Il est intolérable de voir notre zaouïa, lieu de savoir et de religion, faire office de scène de danse.» Slimane Kerrouche, porte-parle des neuf villages parlait des troupes de danse africaine qui se sont produites dans l'esplanade de la zaouïa pendant le dernier festival de danse africaine. De leur côté, les représentants des Izaouiyen affirmaient que le lieu est un bien qui appartient à toute l'humanité. «Son classement au patrimoine national et mondial fera de lui une richesse pour notre pays», argumentaient-ils. Toutefois, les représentants des archs de Sidi Ali Moussa refusent de parler de coup de force se disant contre toute forme de violence. Par contre, les Izaouiyen parlaient d'intimidations venant de neuf villages plus forts en nombre. «C'est de la hogra. Ils nous intimident depuis des lustres alors que nous ne sommes qu'une petite famille qui veut garder son héritage», disait le doyen des descendants de Mohamed Ben Youssef. Le représentant des neuf villages parle, lui de refus de l'administration et de la justice d'examiner leurs doléances. Enfin, toutes les parties se rejettent l'accusation de vouloir en faire un cheval de bataille politique. Mais entre cheval de bataille politique et cheval de Troie, il n'y a que la sagesse de Sidi Ali Moussa, le vrai héritage pour en distinguer la différence. Pour finir, nous avons également jugé utile de souligner la sagesse des maîtres d'antan à l'exemple de Mohamed Ben Youssef qui a passé le flambeau, de son vivant, à son élève.