Metteur en scène, compositeur et réalisateur du film Trente, il est actuellement présent au Festival du film arabe de Fameck (France), où nous l'avons rencontré. L'Expression: Votre film Trente pèche par un certain excès d'une forme de théâtralité dans le geste des personnages. Est-ce voulu? Fadil Djeziri: Le personnage parlait dans une langue de scribe qui est une langue assez châtiée comme chez les Zeytouniens d'une manière générale. Donc ce style, je ne l'ai pas choisi. Il s'est imposé à moi. Ce sont des personnages qui s'expriment dans une langue du début du siècle dernier, une langue châtiée, profondément musicale. Ce sont des personnages qui sont, soit poètes, Premiers ministres, beys qui font de la langue le moyen de maîtriser le monde, de le tenir, le faire, le diriger. Automatiquement, c'est une langue extrêmement sophistiquée. Ce ne sont pas des gens qui s'expriment dans la langue de tous les jours. Il y a très peu de séquences où il est question de vaisselle ou de ménage... Ce sont des gens qui sont dans d'autres enjeux, d'autres conflits... Il y a aussi un certain esthétisme singulier comme cet alliage entre le style documentaire et fiction et la coloration de ces scènes d'archives. Pourquoi? Il n' y a pas de documentaire mais des passages sur l'époque qu'on a traitée, c'est-à-dire que nous les avons coloriés, simplement pour donner cette distance entre ce que le regard colonial portait sur ce lieu, à savoir une lumière paradisiaque, un éden et puis les enjeux réels dans cette société qui vivait une réelle éclipse dans tous les sens du terme. Les enjeux sont autrement lourds et déterminent l'existence d'une nation tout entière. Ce sont des personnages qui sont dans la gravité, pas dans la légèreté. Vous me diriez qu'Henri VIII était théâtral, je vous dirais oui ou encore De Gaulle, oui. Ce sont des chefs. Ils ont une espèce d'extériorité. Ils doivent porter le sens et le communiquer au plus grand nombre. Maintenant, le code est-il excessif? Je ne crois pas. Pourquoi trois personnages? D'abord, le fondateur des premiers syndicats autochtones en Tunisie, Mohamed Ali Hammi qui est vraiment le père du syndicalisme tunisien, l'homme qui a renouvelé la poétique tunisienne, Aboulkacem El Chabi, qui a transformé la prosodie, qui a modernisé l'expression poétique dans cette partie du monde et puis Tahar El Haddad qui appelle à la libération de la femme et qui a écrit un texte majeur qui est Notre femme dans la société et dans la charia et puis un ultime personnage qui va réaliser l'indépendance de la Tunisie et va être le fondateur de la première République qui est Bourguiba. Tous ces personnages-là étaient, de leur vivant, quelque peu théâtraux. Je pense ainsi que les uns se sont nourris des autres. Cette révolution n'est pas le fait d'un individu mais de tout un groupe d'individus. C'est ça qui est important, un traitement du héros différent. Pourquoi avoir choisi ce thème? Est-ce finalement parce qu'il reste encore actuel? La montée du fondamentalisme en Afrique du Nord et notamment dans le Maghreb est quelque chose que j'estime, personnellement, très dangereuse. Il y a eu des acquis avec des hommes qui ont fait la Tunisie actuelle, mais il était important de rappeler que ce sont des gens qui ont lutté pour cela. Ils sont représentants de groupes beaucoup plus larges. Ils ont tout fait pour qu'il y ait l'indépendance, la libération de la femme, pour qu'elle ait les mêmes droits comme dans le reste du monde, non musulman. La femme aujourd'hui en Tunisie revêt un statut exceptionnel. C'est extrêmement important. Cette histoire sert à rappeler l'existence de ces gens qui ont lutté et il faut continuer à le faire pour ne pas perdre ces acquis-là. C'est extraordinaire. C'est très important évidemment. C'est cela le sens réel de ce film. C'est pour cette raison qu'il s'est réalisé autour de ce film une espèce de consensus national qui lui a permis d'exister, car on n'a pas l'habitude de faire des films de cette amplitude, sur un sujet aussi singulier. Quelle est aussi votre actualité? Je travaille sur un long métrage dont le sujet est aussi d'actualité, en relation toujours avec la question de la femme d'aujourd'hui. Ce que je voulais tout à l'heure vous dire, est que moi, je ne viens pas du théâtre. J'ai fait du théâtre parce qu'il n'y avait pas de moyens de faire du cinéma. Ma passion a toujours été le cinéma. Comme je n'avais pas d'autre choix que de faire du théâtre, on a créé un groupe qui est le nouveau théâtre de Tunis; on a écrit un certain nombre de pièces sur à peu près une vingtaine d'années. Et puis, je me suis intéressé au cinéma après être passé par des spectacles assez importants comme La Nouba, La Hadra, en tant que metteur en scène et compositeur. C'est moi d'ailleurs, qui ai écrit la musique du film.