Comment une jeunesse tout en liesse après la victoire de l'Equipe nationale de football, peut-elle sombrer dans la «démence» le lendemain? En réaction à ce qui est survenu durant la nuit du 13 au 14 octobre à Bab El Oued, la Dgsn a tenu à apporter certaines «précisions». Ainsi, selon le département de Tounsi, «deux jeunes se sont bagarrés, dont l'un est du quartier Diar El Kef. La situation a dégénéré dans la nuit du 13 octobre, lorsqu'à 00h30, un groupe de 30 personnes, des mineurs pour la plupart habitant le quartier sus-cité, ont tenté de venger leur ami. Ce qui a provoqué beaucoup de bruit dans le quartier silencieux. Les habitants ont alors commencé à jeter des bouteilles de leurs fenêtres. Les policiers sont intervenus afin de les séparer, et sur leur chemin, les jeunes ont vandalisé 21 voitures parquées au niveau du quartier. Pour éviter tout autre dérapage, il a été mis en place un dispositif sécuritaire, alors qu'ont été signées deux demandes de perquisition du local des deux principaux initiateurs de ces troubles. Il s'agit de repris de justice mis en liberté récemment», peut-on lire dans le communiqué publié jeudi. Cependant, la version des citoyens de ce quartier populaire est tout autre. Retour sur les lieux d'une nuit de terreur. Peu après minuit, une cinquantaine de jeunes délinquants «débarqués» de l'ex-carrière Jobert et armés de sabres, de couteaux, de barres de fer, de gourdins et de bouteilles en verre ont investi la rue Taleb- Abderrahmane, surplombant la place El Kettani, dans une véritable expédition punitive. Sous l'emprise de la drogue et de l'alcool, ils ont semé la terreur jusqu'à des heures indues de la nuit. Déversant des flots d'insanités à faire rougir une nonne, ils se sont attaqués à tous ceux qui se trouvaient sur leur chemin avec une rare barbarie digne de l'âge de la pierre, les agressant sauvagement et leur assénant des coups à arme blanche causant des blessures plus ou moins graves à une vingtaine de personnes. Fort sur le plan numérique et de plus en plus surexcités, les psychotropes décuplant leur force destructrice, ils ont mis la ville à sac. Les riverains, tirés de leur sommeil et impuissants, se sont mis à lancer de leurs balcons des pierres, des bouteilles en verres et même de la vaisselle, tentant vainement de repousser cette marée diabolique qui a envahi leur quartier. Les gangsters, eux, se sont retournés vers les véhicules stationnés tout le long de la rue, en en détruisant une centaine et saccageant plusieurs édifices publics. Quant à la police, elle n'a fait son apparition qu'une heure après le «tsunami», «alors que ce quartier est entouré de trois commissariats, et n'est qu'à deux pas de la Dgsn et de la brigade de gendarmerie de Ali Khodja», indigné dit Mohamed, gérant d'un cybercafé limitrophe du théâtre des faits, et d'ajouter: «Une dizaine de voyous ont été appréhendés pour être ensuite relâchés sans autre forme de procès.» Les locataires de la rue Taleb-Abderrahmane, plus que jamais exaspérés, pointent du doigt les deux gargotes de la rue et leurs gérants. «Ce sont là les endroits les plus malfamés de Bab El Oued, qui attirent de plus en plus de voyous de tout acabit. Les gérants, deux repris de justice notoires, dont l'un réside près de l'hôpital Mustapha-Pacha, donc étranger à Bab El Oued, s'entourent de dealers, de proxénètes et d'autres malfrats, question de se protéger!», confie Mounir, habitant la même rue. Quand l'Etat est absent, les voyous font leur loi. Selon ce jeune homme, des pétitions ont été signées à maintes reprises pour fermer «ces lieux de débauche qui empoisonnent la vie de paisibles citoyens. Services de police comme élus locaux ont toujours fait la sourde oreille, à croire qu'ils se plaisent dans cette atmosphère de terreur qui devient désormais notre lot quotidien», ajoute-t-il amer. Salim, médecin de profession, est quant à lui plus virulent envers les hommes à la tenue bleue. «Au lieu d'user des moyens de répression comme ils s'ingénient à le faire lors des manifestations pacifiques, ils ont gardé leurs distances préférant le statut de spectateurs. Tous les trafics en circulation à Bab El Oued, et en tête de liste la drogue, se font au su de ces garants de l'ordre», accuse-t-il, outré. En effet, plusieurs témoins ont rapporté que de véritables guerres de tranchées opposent des gangs rivaux tout près des postes de police et cela, au nez et à la barbe des agents qui restent de marbre. «Comme s'ils n'étaient là que pour assurer leur propre sécurité alors que le pauvre citoyen, livré à lui- même, se plie aux lois dictées par des bandes de vandales de plus en plus envahissantes mettant à profit l'absence de l'Etat», renchérit Radia, étudiante en droit habitant à la rue Jean-Jaurès. Cette intellectuelle se désole de l'«absence de l'Etat devenu flagrante. Ce n'est pas la première fois d'ailleurs. Le souvenir de la bataille rangée de février dernier qui a duré quatre jours est toujours aussi vivace. Cela dénote, également, l'échec du système mais aussi de celui des partis politiques et de leurs affiliés». Ainsi donc, après le joug du colonialisme, la misère, la marginalisation, les événements d'Octobre 88, les massacres des années 90, les inondations et maintenant une criminalité à tous coins. Où va Bab El Oued?!