Il est clair que le coeur du problème se situe dans l'immobilisme du pouvoir. Le sort, réservé par les autorités à la marche organisée par l'aârachs, jeudi dernier, à Tizi Ouzou, clarifie un peu plus les intentions du pouvoir quant au règlement de la crise de Kabylie datant maintenant de 15 mois. A une énième expression «citoyenne pacifique» dans la rue, il oppose une armada policière avec son arsenal répressif. La marche de jeudi, qui a dégénéré en émeute, a signé ainsi un retour dangereux à la case départ, après une relative accalmie observée ces deux derniers mois. Dans l'histoire, il y a l'offre de dialogue sans exclusive de Benflis au lendemain des législatives du 30 juin, rejetées en Kabylie. L'appel est resté lettre morte chez l'aârachs qui l'ont classé (l'appel Ndlr) dans le registre des pratiques manoeuvrières du pouvoir, tant il n'est pas accompagné par des mesures d'apaisement. On se rappelle l'espoir nourri par les citoyens en Kabylie, notamment les familles des détenus, à l'approche du 5-Juillet. La libération de ces détenus a dépassé le cadre d'une rumeur pour devenir presque une certitude. Le 40e anniversaire de l'indépendance nationale fut une grande déception aussi bien pour les familles des détenus que pour les simples citoyens érodés par 15 mois de confusion. Le pouvoir a, encore une fois, raté l'occasion de dénouer la crise. Depuis le début des événements en avril 2001, il a tenté d'occulter les raisons profondes de la crise pour mieux se décharger de sa responsabilité. Il est maintenant clair que le coeur du problème se situe dans l'immobilisme d'un pouvoir totalitaire incapable de se réformer. Il réside dans son entêtement à se maintenir coûte que coûte, sans rien céder à une société qui aspire à gérer démocratiquement ses affaires. Une attitude qui a plongé la totalité du pays dans la désillusion. Des pans entiers de la société algérienne s'installent dangereusement dans le «je n'ai rien à perdre». «De toutes les façons, je suis mort recto-verso», clamait un jeune «émeutier» à Mohammadia la semaine dernière. Pour revenir à la crise de Kabylie, 15 mois n'ont pas suffi pour juger les auteurs des crimes commis, rendre publiques les modalités des indemnisations ou libérer les personnes emprisonnées pour des revendications, pourtant jugées légitimes. Aucune mesure d'apaisement, ni même un travail de communication pour informer le citoyen en Kabylie des dispositions prises. Résultats: les compteurs sont remis à zéro avec les émeutes qui ont eu lieu jeudi à Tizi Ouzou, le citoyen le plus indifférent, s'il en existe encore en Kabylie, aura compris que la réplique du pouvoir à la manifestation de jeudi, constitue une grave erreur stratégique locale, surtout à quelques semaines des élections municipales. Ou alors n'y a t-il pas une volonté délibérée de maintenir l'état de confusion au sein de cette région contestée et contestataire? Rassurés par l'indigence stratégique du pouvoir, l'aârachs passent à un radicalisme supérieur. Après les marches, les sit-in et le départ des gendarmes, ils menacent d'expulser les chefs de daïra si les détenus ne sont pas libérés avant l'expiration de l'ultimatum, dimanche à minuit. Y a-t-il plus dangereux que des actions pareilles, quand elles s'inscrivent dans la durée? Véritablement la crise de Kabylie a atteint une ampleur sans précédent.