Il est clair qu'après les marches et la grève d'hier, le dossier du Printemps noir rebondira de plus belle sur la scène politique. La célébration du 23e anniversaire du Printemps berbère s'est déroulée hier sans qu'on ait à enregistrer des émeutes dans les trois villes qui, traditionnellement, fêtent l'événement. A Tizi Ouzou, Béjaïa et Bouira, des dizaines de milliers de citoyens ont, encore une fois, démontré leur attachement à cette cause démocratique. Les manifestations pacifiques d'hier ont une signification particulière en ce sens que le porte-flambeau de la contestation en Kabylie que sont les ârchs, donnait des signes évidents d'essoufflement après avoir quasiment monopolisé le discours protestataire en Kabylie. En effet, depuis l'avènement du mouvement citoyen, force a été de constater que ce dernier a largement occupé le devant de la scène, de sorte que les partis politiques, la fondation Matoub et les différentes fractions du MCB ont presque disparu du paysage politique local. Les nombreuses «démonstrations de force» ont, en effet, permis aux ârchs de supplanter les organisations politiques traditionnelles. Le forcing du mouvement citoyen a été tel que toute la région vivait au rythme des conclaves et ne prêtait qu'une oreille distraite aux discours des partis. Cependant, le discours radical, le refus de tout dialogue avec le pouvoir et surtout une impression de tourner en rond, a fait perdre au mouvement beaucoup de crédit auprès des citoyens qui se sont détournés de la chose politique, à telle enseigne que de nom- breux observateurs ont lu dans l'attitude de l'opinion publique, un désespoir de voir un jour toutes ces luttes aboutir pleinement. Aussi, a-t-on craint le risque de voir la Kabylie se couper des réalités sociopolitiques nationales, avec des APC élues à moins 2% des suffrages et d'autres carrément sans maire. C'est donc dans un décor de démobilisation que le troisième 20 Avril, depuis le début du Printemps noir, a été commémoré. Cependant, la rue a réservé une belle surprise en se mobilisant pour ce rendez-vous précisément. C'est dire que le coeur de la Kabylie bat toujours et les citoyens de la région conservent encore une certaine vitalité politique, à même de permettre d'espérer une réelle sortie de crise pour peu que les protagonistes fassent preuve de volonté politique d'y parvenir. Loin d'être un chèque à blanc délivré aux délégués du mouvement citoyen ou aux partis politiques, l'attitude d'hier des citoyens qui, dans leur majorité, ont observé la traditionnelle grève générale, donne un signal fort de leur conviction profonde quant à leur attachement à la date symbole du 20 Avril confirmant par là même leur engagement politique pour une solution pacifique et démocratique de la crise qui secoue la région depuis déjà 2 ans. Traduite sur le terrain, la réussite de la commémoration du 20 Avril est de nature à donner un autre souffle au mouvement, mais cette fois, pas exclusivement chapeauté par les ârchs. La raison en est que la mobilisation constatée hier est aussi le fait du MCB, des partis politiques présents dans la région et des innombrables associations culturelles qui forment le vaste tissu de la société civile de Kabylie. Il est clair qu'après les marches et la grève d'hier, le dossier du printemps noir rebondira de plus belle sur la scène politique, d'autant que l'Algérie est aux portes d'une échéance électorale majeure. La disponibilité affichée de part et d'autre d'engager un dialogue sérieux, pourrait jouer en faveur du règlement définitif de la crise. En tout cas, un geste significatif est attendu dans les prochaines semaines, si ce n'est dans les prochains jours de la part du pouvoir ainsi que de certains animateurs influents du mouvement. Cette hypothèse, la plus positive, est défendue par de nombreux cercles proches du mouvement qui révèlent l'existence de véritables contacts sérieux à même d'aboutir réellement. Ces contacts pourraient s'intensifier, voire déboucher sur des rencontres officielles, nous affirme-t-on. Cela étant dit, le chemin pour la concrétisation de la volonté exprimée par la rue en Kabylie demeure semé d'embûches.