Dans les rues, il n'y a pas de barrages renforcés, il n'y a pas de chars, pas de tanks, pas de kalachnikovs ou tout autre quincaillerie militaire. Jouant à cache-cache, les nuages et le soleil se disputent, depuis l'aube, le ciel de Tunis. Attablés dans une terrasse de café à Bab Al Djazira, à l'entrée de la Casbah de Tunis, un couple de Japonais s'adonne à un dur exercice de phonétique. Ils y arrivent après plusieurs tentatives: Choukrane, ont-ils fini par lâcher, après plusieurs tentatives, au serveur dévoué. Ils règlent la consommation et s'engouffrent sous les arcades de la Casbah. En cette journée d'un octobre capricieux, la partie se joue au sol, plus précisément dans les bureaux de vote où les Tunisiens se sont rendus hier pour élire un nouveau président et de nouveaux députés. Il y a quelque chose de frappant dans la manière avec laquelle se déroulent les élections en Tunisie. D'abord, on n'entend pas de spots médiatiques diffusant en boucle des alertes annonçant que les camions poids lourds sont interdits d'entrer en ville 48h avant le déroulement du vote, que les stations d'essence vont assurer la permanence le jour du scrutin et que les hôpitaux et certaines autres institutions assureront le service minimum. Et puis, un phénomène tout à fait extraordinaire: il n'y a pas de dispositif sécuritaire spécial pour le rendez-vous électoral, pas de barrages renforcés, il n'y a quasiment aucune présence militaire, il n' y pas de chars, pas de tanks, pas de kalachnikovs ou tout autre quincaillerie militaire. Un décor, un spectacle tout à fait rares dans les pays africains en pareils rendez-vous électoraux. Hier, les rues et les artères de Tunis étaient plutôt paisibles, relax. La majorité des cafés étaient ouverts et leurs terrasses accueillaient des touristes et des Tunisiens. Tout ce beau monde savourait ces drinks sans tension ni inquiétude, car l'affaire pour les Tunisiens se limite à l'intérieur de l'isoloir. «C'est comme la prière, on accomplit le devoir et une fois sorti de la mosquée on n'en parle plus, c'est comme ça les élections chez nous,» déclare Adel un jeune fonctionnaire. On glisse son bulletin et on vaque à ses occupations. Cette attitude se retrouve d'ailleurs chez les Tunisiens même durant la prière du vendredi. «Ce n'est pas parce qu'on fait la prière du vendredi qu'on condamne le monde, les citoyens tunisiens et les touristes à ne pas vivre, à ne pas pouvoir prendre un café ou manger un repas dehors au milieu de la journée», avance encore Adel. En tout cas, la ville ne s'est pas arrêtée par le fait que des élections sont organisées ce jour-là. Il y a des bureaux de vote où on semble s'ennuyer. Le ton est à la jovialité dans certains. Dans d'autres, on fait son travail le plus normalement du monde. Point de tension, et nerfs à fleur de peau. Au milieu de la journée, l'agence officielle tunisienne TAP annonce un taux de participation de 53%. De guerre lasse, les nuages et le soleil cessent les «hostilités» et cèdent lentement la place à l'aurore qui extrait la ville de son sommeil paisible. Les premiers klaxons annoncent déjà la fête de la victoire écrasante de Ben Ali. Telle est la Tunisie un jour de vote.