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«Tout homme doit tenter de changer le monde»
ENTRETIEN AVEC AZOUZ BEGAG
Publié dans L'Expression le 29 - 10 - 2009

L'écrivain, sociologue, ex-ministre délégué à la Promotion de l'égalité des chances nous parle de son dernier livre avec un large sourire désarmant.
Il vient de sortir aux éditions Sédia. Dites-moi bonjour, une sorte de fable de La Fontaine des temps modernes où le système politique de Sarkozy est égratigné à coups de métaphores bestiaires s'attaquant à la police des airs et des frontières et la politologie de l'identité nationale. Avec une écriture simple, bourrée de jeux de mots et d'esprit, Azouz Begag revient avec un livre fort où la politique n'est pas très loin. Mais une oeuvre d'après lui «poétique» avant tout!
L'Expression: Votre roman Dites-moi bonjour est une fable de La Fontaine, qui ne se veut pas tendre avec les politiciens affublés de noms d'animaux en tous genres.
Azouz Begag: C'est d'abord un livre poétique et politique en même temps. Je suis sociologue de formation. J'ai voulu donner mon point de vue sur la société de consommation d'aujourd'hui, notamment sur ce que j'appelle «la satiété» de consommation. Je vais souvent dans des pays comme l'Amérique où les gens ont la télévision dans chaque pièce de la maison y compris dans les toilettes. Il y a dans mon livre un sociologue qui traverse l'histoire. Il habite Marseille. On l'appelle le «Savant de Marseille». Il explique ce qui se passe. C'est aussi un livre dans lequel il y a beaucoup d'animaux. Je trouve que quand on travaille dans la politique, on se rend compte que les hommes du milieu politique sont des requins ou le plus souvent des loups. Eh bien, l'idée m'est venue de faire un livre où il n'y aurait que des animaux. Un livre dans lequel un «prédisant» de la République se met à faire des programmes et des promesses politiques et tous les animaux qui habitent dans sa société sont déçus. Deux ans plus tard, ils n'ont pas vu venir les promesses. Les éléphants ont l'impression d'avoir été trompés, les singes bananés, les lapins carottés, les loutres sont outrées, même les buses sont désabusées
Ils sont déçus car ils ne comprennent pas trop les vices de la politique, c'est dans la page 62 de votre roman.
Ils ne comprennent pas les vices de la politique car avant ils habitaient un monde rural, à la campagne où il y avait des valeurs très importantes comme l'hospitalité, la tolérance, la solidarité, la sincérité. Et 50 ans plus tard, toute la campagne était victime d'une révolution, d'un changement structurel qui a abîmé les valeurs.
La campagne a été remplacée par la ville. Tous les animaux et les êtres humains qui avaient l'habitude de vivre en solidarité, en famille, en groupes, en voisins, se retrouvent individualisés. Ils vivent dans une grande solitude personnelle. J'appelle ces gens «des Persolitaires». C'est une ville qui a construit cette solitude, alors c'est une grande tristesse parce que les gens ont perdu le sens de l'autre et de la vie, ils ne savent pas ce qu'ils veulent au fond. Dans le monde rural de naguère, ils savaient ce qu'ils voulaient car il se battaient contre les éléments. C'étaient des paysans qui plantaient, qui semaient, qui récoltaient. Ils se battaient, car il n'avaient rien. Leur vie avait un sens.
Vous évoquez une nouvelle ère, une nouvelle société que vous critiquez. Aussi, des policiers de l'air et de l'identité nationale que vous dénoncez..
Oui, ce sont les flics de Sarkozy et de Brice Hortefeux. Dans ce roman, il y a beaucoup d'oiseaux migrateurs. Ces derniers se plaignent maintenant car même en l'air, dans les nuages, ils ont installé une police de l'air et des frontières. Mon «Savant de Marseille» conduit une voiture qui s'appelle une Coccinelle. Dans mon roman, en effet, il y a beaucoup de policiers de l'identité nationale qui contrôlent la compatibilité nationale entre les uns et les autres. Un jour sur son pare-brise, il trouva un pappillon, cent euros d'amende pour défaut de contrôle technique..
Vous jonglez beaucoup avec les mots et vous en faites un jeu magnifique...
Vous l'avez compris, j'adore la langue française et les jeux de mots, car je suis un Sétifien. Il y en a qui voudraient mourir au volant, moi j'adorerai mourir en tombant dans un piège de jeux de mots.
N'avez-vous pas peur d'écorcher les hommes politiques que vous avez côtoyés? Comment a été reçu ce livre dans la haute sphère comme on dit?
Normalement. Il n'a pas provoqué de scandale particulier parce que les hommes politiques ne lisent pas ce genre de livres. C'est trop compliqué. C'est trop intellectuel pour les hommes politiques (rire). C'est trop littéraire pour eux. Je pense vraiment que c'est un livre sociologique qui décrit la société actuelle, telle qu'elle est en France, mais aussi en Algérie. C'est la même société. C'est «la satiété de consommation».
A la fin de votre livre vous évoquez l'écrivain libre. On a l'impression que c'est plutôt l'écrivain, vous-même, qui s'exprime, s'assume pleinement au détriment de l'homme politique que vous êtes également.
Il y a bientôt un match de football important entre l'Algérie et l'Egypte. Tous les joueurs algériens comme Ziani par exemple, que j'aime bien, et Belhadj font partie d'une équipe.
Ce sont des joueurs libres, indépendants et talentueux. Chacun suit une mission. Quand on est dans un gouvernement on est une équipe aussi. On ne fait pas n'importe quoi. On est obligé de s'astreindre à un certain nombre de comportements qui respectent les autres, voilà pourquoi un homme politique n'a pas la même liberté d'expression que l'homme poétique.
Je trouve que j'ai eu une chance incroyable, moi Azouz Begag, fils de Begag Bouzid, travailleur émigré, venu en France en 1947,ne parlant pas le français, ne sachant ni lire ni écrire, et 50 ans plus tard, son fils devenu ministre du gouvernement français.
C'est une chance incroyable pour le fils que je suis de pouvoir monter sur la montagne et de regarder la société depuis la haut. Mais, je n'ai jamais oublié que je suis le fils du pauvre, comme disait Mouloud Feraoun. C'est cela qui fait ma richesse. Je ne suis pas malade par l'argent, du pouvoir et de la notoriété. Je sais faire autre chose que de la politique. Je sais, notamment me faire respecter. C'est très important. Voilà pourquoi j'ai décidé de ne pas continuer de travailler avec M.Sarkozy, car lui et ses amis ont décidé d'aller chercher des électeurs du Front national, d'aller réveiller les fantômes de l'identité nationale française, d'aller donner en pâture à l'électorat français le thème de l'émigration et tout le monde sait que quand on parle d'émigration, il s'agit des Arabes et des Noirs, c'est-à-dire des musulmans et des Africains. Au nom de mes valeurs, de mes convictions, de ma liberté et du respect que je dois à mes parents et à tous mes frères, j'ai refusé et j'ai dit non. J'ai fermé la porte politique et j'ai ouvert un livre poétique, qui s'appelle Dites-moi bonjour. Je n'ai pas fermé définitivement la porte de la politique puisque je suis candidat aujourd'hui aux élections régionales de la région Rhône-Alpes qui est la deuxième région la plus importante pour être président, Inchallah, de la région Rhône-Alpes
Donc, ce n'est pas en contradiction avec vos valeurs humanistes?
Non! car je suis candidat avec un parti politique qui s'appelle le Modem, avec des centristes. Il respecte l'humanité, l'humanisme, les convictions personnelles, il n'a pas d'oeillères idéologiques.
C'est un parti dans lequel je me sens bien. Je peux, à mon niveau, espérer changer un peu la société dans laquelle je vis. C'est mon rôle d'être humain que de tenter de changer le monde dans lequel je vis et l'améliorer pour les enfants de demain.
Si j'étais resté dans le gouvernement de Sarkozy, j'aurais gagné 15.000 euros par mois pendant trois ans, ensuite je serais devenu ambassadeur de France pendant deux fois trois ans. J'aurais fini ainsi ma retraite avec aucun problème matériel.
Mais, je préfère ne rien gagner du tout et ne pas perdre de vue qui est Azouz Begag et pourquoi il a pris cette direction.
Je suis un homme intègre et un fin incorruptible et je suis très fier de voir qu'autour de moi, les gens reconnaissent cette valeur et on aimerait bien qu'il y ait en politique un peu moins de requins et de loups et voir un peu plus d'agneaux et de moutons, qu'ils soient des gens sensibles et sincères!


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