«Nous pouvons continuer la guerre pendant 30 ans, 50 ans s'il le faut.» De leur bastion des monts Kandil, en Irak, les rebelles kurdes de Turquie se défient des efforts de paix du gouvernement d'Ankara et se disent prêts à soutenir une guerre de 50 ans. «Nous tenons des centaines de montagnes en Turquie, en Irak et en Iran. Rien qu'ici, les monts Kandil ont les dimensions d'un Etat européen: ils font deux fois la taille du Luxembourg. Nous pouvons continuer la guerre pendant 30 ans, 50 ans s'il le faut», affirme, Sozdar Avesta. Escortée par deux militantes en salvar (pantalon bouffant) kaki, Kalachnikov en bandoulière, cette figure historique du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), membre de sa direction politique, le KCK, reçoit les journalistes dans la «zone politique» des monts Kandil, un massif montagneux du nord de l'Irak, près de l'Iran, abritant le quartier général de la rébellion. Ces montagnes irakiennes servent de base arrière au PKK, dans ses opérations de harcèlement des forces de sécurité turques. Dans la «zone politique», pas d'unités combattantes: elles sont dans les hauteurs, sous un régime de «mobilité permanente» pour éviter d'être surprises par une attaque aérienne de l'aviation turque ou les fréquentes salves des canons iraniens, explique-t-on. Cet espace, où les rebelles cohabitent avec des villageois kurdes irakiens, héberge en revanche un hôpital -une femme médecin allemande y exerce, tiennent à préciser les rebelles, soucieux de mettre en valeur le «soutien international» à leur cause-, des infrastructures de communication et des points de rencontre avec les médias. On y accède depuis la plaine irakienne par une route en bon état, où une guérite arborant des drapeaux à l'effigie du chef emprisonné du PKK, Abdullah Öcalan, et une escouade de «douaniers» armés contrôlant les véhicules signalent l'entrée dans le territoire sous contrôle rebelle. Pour éviter les contrôles mis en place par le gouvernement autonome kurde d'Irak, les convois «sensibles» -dont ceux acheminant des journalistes- doivent cependant opter pour de longs détours à travers les montagnes sur des chemins de contrebandiers. Le 19 octobre, huit rebelles ont quitté sur ordre d'Öcalan les monts Kandil pour rejoindre le poste frontière turc de Habur, dans un geste de soutien aux efforts de paix du gouvernement turc, qui s'apprête à présenter au Parlement une série de réformes renforçant les droits des Kurdes. La justice turque a laissé les rebelles en liberté -une décision d'une rare mansuétude dans un pays où la simple affirmation de sympathies pour le PKK, considéré comme une organisation terroriste par la Turquie et de nombreux autres pays, peut conduire en prison. Pourtant, Sozdar Avesta se dit sceptique. «Les réformes du gouvernement ne sont que des mots en l'air. Concrètement, il n'y a rien», assène cette femme d'une cinquantaine d'années. «Au regard du droit turc, nos huit camarades devraient aller en prison, mais le gouvernement préfère gérer la situation avec des petits arrangements plutôt que d'affronter les vrais problèmes: une réforme des cadres juridiques et de la Constitution pour prendre en compte la réalité kurde», poursuit la militante.