Devant le mutisme des représentations algériennes à Rabat et Madrid, des concitoyens, dont le seul tort est d'avoir tenté l'émigration clandestine, disparaissent sans que leur mort émeuve. Depuis le début de l'année ce sont cinq Algériens qui ont perdu la vie dans les geôles de Sa Majesté Mohammed VI. La mort du jeune Benzaâma dans une cellule de la prison de Tétouan a délié les langues et aujourd'hui d'autres témoignages sont venus apporter plus d'éclairage sur ce qui peut être considéré comme une vulgaire chasse à l'Algérien organisée par le makhzen marocain et la Guardia civile espagnole. Tous ceux que nous avons contactés ont dénoncé l'attitude des représentants des autorités algériennes tant à Rabat qu'à Madrid qui n'ont même pas daigné s'enquérir des conditions de détention des clandestins algériens. S.Miloud, âgé de 30 ans, après l'expiration du contrat de travail qui le liait à une entreprise italienne chargée de la réalisation du barrage de Boughrara, a tenté de vivre d'expédients. Après plusieurs demandes de visa qui se sont soldées par des échecs, il a décidé de tenter l'expérience de l'émigration clandestine vers l'Europe via l'enclave espagnole de Ceuta. Une semaine avant le ramadhan de l'année dernière, il tente la grande aventure qui est stoppée nette par la police marocaine. Conduit au poste de police, il est incarcéré durant plusieurs jours subissant un traitement inhumain fait de coups de poing, de crosse et d'humiliations. Des séances de torture sont organisées «en son honneur» pour l'obliger à faire des révélations sur les réseaux de passeurs de clandestins, sur les conditions de vie en Algérie, sur l'industrie et sur tout ce qui a trait à notre pays. Quelques jours plus tard, il est conduit en compagnie de 50 autres détenus algériens vers la prison centrale de Tétouan. Sur place, ils sont dépouillés de leur argent, de leurs pièces d'identité et de leurs passeports. Leurs journées sont faites de passages à tabac et leur pitance de riz bouilli, de pain rassis et d'eau nauséabonde. Ils sont enfermés dans des geôles souterraines d'une superficie de 4 m², sans éclairage et sans aération. L'humidité des lieux a occasionné de nombreuses maladies aux 62 détenus obligés de se disputer le filet d'air qui «suinte» d'un vasistas de 20 cm², bricolé sur la porte de la cellule. Ils ne reçurent la visite d'aucun responsable de la prison ou de médecin. Ils sont à la merci de leurs tortionnaires durant tout leur séjour. Ces conditions draconiennes de détention ont entraîné la mort de 5 détenus qui n'ont pas résisté aux humiliations et aux séances quasi quotidiennes de passage à tabac. Leurs dépouilles furent laissées, plusieurs jours dans les cellules avant d'être acheminées pour être enterrées dans une fosse commune où sont ensevelis, d'habitude, les détenus de la prison de Tétouan qui ne résistent pas au sort qui leur est réservé. Cette fosse commune est connue de tous les détenus marocains. Quelques jours plus tard, Miloud et les autres Algériens sont conduits de nuit à la frontière, dans un camion cellulaire. Sur place, ils sont expédiés vers l'est, vers l'Algérie avec la menace de leur tirer dessus si jamais ils rebroussaient chemin. Un autre Algérien, originaire de Maghnia, a vécu la même mésaventure. Âgé de 28 ans, Abdallah, sans emploi, a tenté de s'infiltrer dans l'enclave de Ceuta. Mal lui en prit car il est rattrapé par des policiers marocains qui le séquestrent des jours durant avant de le livrer aux Espagnols qui l'incarcèrent dans la prison de Moro Atlas dans l'enclave espagnole de Ceuta. Sur place il fut soumis à des traitements inhumains d'un gardien qui voue une haine sans limite aux Algériens. Abdallah sera utilisé par des gardiens ripoux dans leures trafics en tous genres (drogue, trabendo, etc.). Fatigué et usé par le traitement inhumain qu'il subissait et voyant que son état de santé se dégradait, les Espagnols le livrent aux Marocains qui, un soir, le jettent à l'entrée de nos frontières avec la consigne de ne plus remettre les pieds au royaume. C'est ce que vivent nos concitoyens, qui, une fois à l'étranger, ne trouvent aucun soutien même auprès de ceux qui sont censés défendre les intérêts de l'Algérie ailleurs.