Les petites bourses, déjà fortement éprouvées par la cherté de la vie, ne savent plus à quel saint se vouer. Quelques jours de l'Aïd El Adha appelé communément l'Aïd El Kebir, fête religieuse symbole de l'esprit de sacrifice, les vendeurs d'ovins «se pourlèchent déjà les babines». Et pour cause, le «roi mouton» est vendu à pas moins de 40.000 DA, défrayant ainsi la chronique. L'angoisse de milliers de familles algériennes est à son comble à cause de ces prix qui, comme de coutume, sont sujets à des spéculations aberrantes. Une virée dans certains marchés de bétail a été édifiante. Fortement convoités durant cette période qui précède la «grande fête», les marchés à bestiaux de la wilaya de Djelfa sont un véritable vivier pour gagner un argent fou. Les prix qui y sont pratiqués donnent le tournis aux potentiels clients, surtout ceux qui aspirent à s'acquitter, sans trop de «dégâts», de ce qu'ils observent comme une mission sacrée et incontournable. «Comme chaque année, et en l'absence de système de contrôle et de régulation, des éleveurs et des vendeurs sans scrupules envahissent les lieux et imposent leur loi», explique Ammi Abid, septuagénaire rencontré dans l'un de ces marchés à Aïn Oussera. Selon lui, les béliers ne sont pas cédés à moins de 40.000 DA, et atteignent aisément les 70.000 DA pour ceux destinés aux combats et à l'exhibitionnisme. «Les ménages à revenus modestes ne peuvent passer le cap sans risquer la ruine, surtout que leur budget est mis à rude épreuve du fait de la flambée des prix des fruits et légumes», ajoutera-il, indigné. Les vendeurs, l'air innocent, expliquent de leur côté que les prix pratiqués ne sont que le résultat de la sécheresse qu'a connue le pays ces dernières années. Selon eux, «le cheptel est en train de se reconstituer et, en plus de cela, l'aliment nécessaire à sa nourriture coûte excessivement cher». Dans le même contexte, ils avancent que les propriétaires terriens louent leurs terres à des prix défiant l'imagination. «Nous sommes obligés d'exercer ces prix-là pour pouvoir couvrir les frais des locations des terres et d'entretien du bétail, d'autant plus qu'en l'absence de toute aide étatique, l'éleveur est livré à lui-même». Et dire que cette région possède le plus grand cheptel du pays! Quelques kilomètres plus au nord, la wilaya de Médéa. Berrouaghia, commune distante de 25 km au sud du chef-lieu de la wilaya, semble attirer les gens en quête d'«une bonne affaire» de toutes les régions du nord du pays. Plusieurs dizaines de véhicules immatriculés à Tissemssilt, Blida, Tipasa et même Boumerdès et Bouira, sont garés en file indienne sur le bas-côté d'une piste qui mène à un immense terrain vague où s'entassent des groupes d'ovins et de caprins dans une symphonie de bêlements assourdissants. Là aussi, ceux qui croyaient «décrocher le gros lot» ou «tomber sur la bonne affaire» ont vite déchanté. En effet, les prix affichés ne sont pas très différents de ceux pratiquer à Djelfa. Ainsi, les agneaux dont l'âge varie entre quatre et huit mois peuvent être acquis monnayant la coquette comme de 32.000 à 38.000 DA. Les brebis, quant à elles, sont cédées au prix fort de 45.000DA. Et quoi que le prix reste variable d'un vendeur à un autre, il n'en demeure pas moins hors de portée des familles au budget moyen. «Le coût d'un petit ovin équivaut à deux mois de mon salaire», avoue, amer, un père de famille rencontré sur les lieux. Venu des monts de Tamezguida et agent de la voirie de son état, il ne s'est rendu à ce marché que pour se «rincer l'oeil, faute de pouvoir acheter un mouton comme au bon vieux temps». Par ailleurs, la ville d'Alger offre un paysage des plus déplorables. Des points de vente, pour la plupart illégaux, poussent comme des champignons ça et là élisant domicile dans des garages évacués pour la circonstance. Pis encore, selon de nombreux citoyens, dans certaines régions telles que Sidi Abdallah et Ouled Fayet, des commerçants et même certains fonctionnaires véreux transforment du jour au lendemain leurs activités pour s'improviser vendeurs d'ovins l'espace d'une fête. «C'est à n'y rien comprendre. Même l'environnement citadin n'est pas respecté:des moutons paissent même au niveau des espaces verts aménagés dans les cités résidentielles», confie, outrée, Malika, une habitante de la nouvelle ville de Sidi Abdallah. Fait vérifié de visu, des moutons et même des vaches broutent le gazon en toute quiétude au niveau du sens giratoire de Aïn Allah à Dély Ibrahim. Malheureusement, le même paysage s'offre à la vue dans d'autres quartiers de la capitale comme Kouba, Baraki, Aïn Taya et autres.