A la fois culturelle, religieuse et politique, l'idée d'El-Islah (La Réforme) cristallise, dès 1932 en Algérie, les énergies du mouvement réformiste. Justement, l'ouvrage Le mouvement réformiste algérien - Les hommes et l'histoire (1831-1957) (*) de Amar Hellal est, à cet égard, un essai d'une grande acuité d'esprit. Il couvre la longue période algérienne de ce qu'on est convenu d'appeler la renaissance, la Nahda en arabe, elle-même inspirée du mouvement éponyme pour l'unité arabe qui est apparu après la Première Guerre mondiale dans l'empire ottoman, puis, progressivement prenant forme et consistance, il s'est développé dans les pays arabes. Ceux-ci, bientôt animés par une commune conscience politique, culturelle et religieuse, se sont mis enfin à exercer leur solidarité face à l'Europe impérialiste ou colonialiste dont certains Etats avaient mis sous leur autorité d'autres pays en situation de protectorat ou de mandat. De plus, le livre de Amar Hellal satisfait la curiosité intellectuelle du lecteur intéressé par cette tranche importante de la vie de son pays et qui comprend de nombreux domaines dont l'histoire du mouvement réformiste algérien et ses hommes. En effet, l'auteur apporte d'autres précisions historiques et prolonge la période étudiée par Ali Mérad dans son excellent essai Le Réformisme musulman en Algérie de 1925 à 1940. Au reste, notre auteur, qui est diplômé des Universités d'Alger, d'Aix-en-Provence et de Nancy, qui a occupé le poste de professeur d'Histoire contemporaine à l'Université d'Alger et qui est (ou a été) directeur de l'Institut d'Histoire, prévient dans son introduction: «Ce travail a pour thème principal l'étude de la pensée des intellectuels algériens et leur ligne de conduite vis-à-vis de l'identité algérienne et de sa préservation, leur position envers le modernisme moral, intellectuel et religieux de la société algérienne, l'attitude nationaliste qu'ils adoptèrent ou non, vis-à-vis du colonialisme, pour concrétiser leur objectif final et qui était pour les uns, l'indépendance morale et religieuse, et pour les autres, en plus, et simplement, l'indépendance politique vue comme la clé de toutes les misères algériennes.» Amar Hellal pose aussi une question d'envergure, capitale pour dégager nettement le fondement de la Nahda algérienne. Et c'est de savoir bien évidemment d'une part, quel a été le rôle des différents acteurs les plus connus (spécialement dans le détail, les membres fondateurs de la mythique Association des oulémas musulmans algériens), les moins connus et les méconnus dans le mouvement réformiste algérien et, d'autre part, l'impact produit sur l'ensemble des intellectuels et étudiants algériens engagés dans la voie du nationalisme. Ici, il faut rappeler et surtout dire, je crois, aux non-initiés, que cette idée de «réformisme» est ancienne dans l'histoire de l'Islam. De nomb reux et grands pays musulmans ont connu leurs réformateurs. Certains se sont évertués à combattre principalement des pratiques et des interprétations jugées, par eux, contraires au dogme; d'autres, notamment ceux qui étaient sous domination coloniale, ont englobé dans leur lutte contre des moeurs et des croyances suspectées d'hérésie, une action politique d'éveil des consciences au nationalisme. C'est ainsi que l'histoire religieuse de l'Islam compte, par exemple, dans le Moyen-Orient ancien, Abou Hamid El Ghazali, au surnom honorifique de Hojjat al-Islam, la Preuve de l'Islam, auteur du précieux ouvrage De la revivification des sciences religieuses (mort en 1112); en Andalousie, Abou Mohamed Ali Ibn Hazm, le Maître de Cordoue, le platonicien (avec son admirable livre Le Collier de la colombe) et historien des religions (avec son Kitab al-fiçal fil-milal wal-ahwa wan-nihal, un monument de la pensée arabe), mort en 1064; et dans notre pays, Ibn Toumert, el-Mahdi des Almohades (mort en 1129). Mais il semble bien que, selon les chercheurs, «l'ancêtre» des réformistes modernes soit Taqi ad-Din Ahmed Ibn Taïmiya, mort en 1328 à Damas. Il est considéré comme le père du mouvement salafite à travers les siècles, quand le salaf désignait la pleine vertu de «l'ancien», c'est-à-dire que toute innovation en matière de religion est bid'a et porte en elle le mal. Cet «Ancêtre» n'a pas cessé, en effet, de condamner le culte des saints et, se proclamant moudjtahid, d'encourager à l'effort personnel tout en s'attachant à la tradition. Sa doctrine, soutenue et diffusée par son disciple Ibn Qayyim Al-Djaouziya (1292-1350), a inspiré de nombreux réformistes wahhabites de la péninsule arabique, et influencé l'Islam moderne...Puis les XIXe et XXe siècles ont été particulièrement riches en penseurs dans le monde musulman. Parmi les plus célèbres par leur détermination, leurs écrits, leur art oratoire et leurs actions concrètes en faveur de la libération et l'évolution des esprits vers le modernisme, on peut citer «le père du mouvement anticolonialiste dans le monde musulman», l'Afghan Djamal ed-Din Ibn Safdar al-Afghani (1838-1888) ; le penseur et maître spirituel de l'Orient, surnommé «le réformateur du siècle», l'Egyptien Mohamed Abdou (1849-1905); son disciple et chef du mouvement réformiste orthodoxe, le Syrien Rachid Ridha (mort en 1935), et l'on n'omet pas «le théoricien et champion arabe», «le prince de l'éloquence», le Libanais Chekib Arslan (1869-1945). Tous ont diversement oeuvré dans le sens d'un esprit capable de réformer «l'esprit traditionaliste» englué dans l'inculture, l'analphabétisme et le maraboutisme négatif et l'orienter vers la Science et le monde moderne sans renoncer aux grandes valeurs de l'Islam historique. Cet esprit de réforme, c'est-à-dire l'Islah, gagne de nombreux pays musulmans et notamment les pays du Maghreb où il trouve un climat propice à son développement dans les grands courants nationalistes. En Algérie, la visite de Mohammed Abdou et sa rencontre avec plusieurs personnalités religieuses, en 1903, est une sorte de chiquenaude historique qui renforce l'idée de la Nahdha avec, par exemple, les Omar Ibn Kaddour et les Omar Racim. En 1925, d'autres hommes (Ibn Badis, Bachir El-Ibrahimi, Moubarek el-Mili, Ahmed Tawfiq el-Madani, Mohammed el-Id Khalifa et Tayeb el-Okbi) donnent son essor définitif à cette renaissance, la Nahdha à l'algérienne, dénommée en fait réforme, Islah, en lui imprimant son caractère essentiellement politico-religieux, assorti de nombreuses actions sociales, éducatives et culturelles. Le livre de Hellal est fécond en ces informations (documents d'archives et personnages historiques) auxquelles, toutefois - et peut-être - un index ajouté des noms cités et une présentation générale autrement structurée, en faciliteraient la lecture à un plus large public. En lisant avec soin l'ouvrage Le mouvement réformiste algérien - Les hommes et l'histoire (1831-1957) de Amar Hellal, le lecteur pourra assurément découvrir de belles pages qui incitent à la réflexion, et peut-être au débat. Quant à moi, l'étendue de ce livre, les analyses méticuleuses et intéressantes des documents présentés par l'auteur ne me permettent pas d'aller plus loin dans mes commentaires. Je regrette aussi que notre vénérable OPU ait manqué de vigilance dans la fabrication (mise en pages, police des caractères, impression) de cet ouvrage. Mais comme j'espère que toute lecture intelligente peut conduire au bonheur, j'engage mes lecteurs à se saisir de cet ouvrage de Amar Hellal...