Pas un chat ou presque. C'est la formule qui sied le plus pour décrire l'ambiance, ou l'absence d'ambiance, qui régnait hier à Alger lors de la transmission du match. Il n'est pas encore 18h30. Ce n'est pas ce qui a empêché les rues d'Alger de se vider. On aurait pu penser qu'il n'y a que l'heure du ftour, lors des soirées de Ramadhan, qui peut provoquer un tel vide dans une ville de quatre millions d'habitants. Mais la passion du foot a été plus forte que la légendaire bougeotte des Algérois. Ils ont préféré rester collés à l'écran de leur télévision. Ils laissent la ville entre les mains du vide. Sidéral? Que non! Il y a toujours quelques exceptions pour confirmer la règle. De rares automobilistes ont alors eu tout le loisir de sillonner les rues de la ville sans encombre. Pour une fois que cette occasion s'offrait à eux, ils n'allaient assurément pas s'en priver. Le ronronnement des moteurs est alors là pour nous rappeler que l'urbanité est toujours synonyme de bruit. Ce n'était pas les seules sonorités qui vous tirent de votre torpeur. Les actions choc du match ont vite fait de porter à vos oreilles des «hourras» d'enthousiasme ou des «oh» de déception. Selon que l'action du moment soit en faveur de l'Equipe nationale ou de l'adversaire du jour. D'odeur, il n'y en a point, non plus, dans cette ville à partir des balcons et des fenêtres desquels s'échappaient d'habitude mille et un parfums à titiller le sens olfactif. L'odeur de gaz d'échappement est quasiment absente dans cette mer de tranquillité. Il reste quand même l'odeur des milliers de cigarettes grillées pour vaincre non pas l'équipe adverse, mais l'angoisse provoquée par l'attente. De temps en temps, quelqu'un trouvait le moyen de se décoller de l'écran pour savourer sa cigarette au balcon. Des quartiers coutumiers de l'animation se retrouvent tout d'un coup dans un silence assourdissant. C'est alors à la vue qu'il est donné de constater que ce calme ne doit pas étonner et qu'il doit être interprété comme un signe de fête même avant l'heure ou, au contraire, qui vient juste à temps. Ce sont les drapeaux qui rappellent que cette journée du samedi est exceptionnelle pour les Algériens. Ils s'y sont préparés depuis des semaines. L'emblème national est accroché aux balcons pour occuper un espace généralement dédié au linge tendu. De couleurs, ne sont guère visibles dans cette nuit que le vert, le blanc et le rouge. Et de drapeaux, il y en a de toutes les dimensions. Même peints sur les murs de certaines maisons. Les voitures à l'arrêt sont un autre indice qui renseigne sur l'enthousiasme des familles de leurs propriétaires: des drapeaux y sont toujours accrochés. Car, pendant toute la journée, les automobilistes n'ont pas cessé de faire le tour du quartier pour montrer leur adhésion à la ferveur populaire. En ces moments décisifs pour la suite de l'aventure de l'Equipe nationale qui a entamé son parcours pour la qualification en coupe du monde et de la CAN depuis des mois, il ne fallait surtout pas prendre le risque de se retrouver loin de son domicile, car il n'y a personne pour vous en rapprocher: les transports sont paralysés. La consigne était donnée dès le matin aux voyageurs. Il ne fallait pas trop flâner car les exploitants des lignes de transport public allaient, eux aussi, rentrer chez eux, et plus tôt que d'habitude. Ceux qui ont été tout de même, par un concours de circonstances, empêchés de rentrer chez eux, ont pu bénéficier des largesses de certains organismes qui ont placé des écrans géants dans certaines places publiques de la capitale. Il y aurait certainement des chauffeurs de taxi et d'autres professionnels de la filière de transports qui auraient souhaité se voir offrir tant de kilomètres d'asphalte à longueur de semaine pour sortir des interminables encombrements. Cela aurait pu aussi être une bonne opportunité pour les parents de mettre leurs enfants dans des poussettes et de s'adonner à quelques parcours. Mais tout ce beau monde ne peut que rêver de ce scénario. La trêve de vacarme n'a été que de courte durée. Juste le temps d'un match. La foule a vite repris ses droits sur sa ville, dès le coup de sifflet final du referee. Ce match a, en tout cas, permis à de rares personnes qui se trouvaient dehors d'apprécier la vraie Alger by night. Sans ses habitants. Pendant 90 minutes, le rêve était encore possible. Mais pas au-delà. Il faut attendre d'autres matchs de la Coupe du monde et d'autres rencontres des prochaines étapes éliminatoires dans quatre ans pour avoir droit au même spectacle formé par le vide. Et admirer l'architecture.