Parmi les 12 titres de films étrangers en compétition, le film Harragas de Merzak Allouache et Les Secrets de Raja Amari. Etats -Unis, Turquie, Corée du Sud, Europe, Amérique latine et bien sûr l'Afrique, le monde entier se donne rendez-vous depuis le 13 novembre dernier dans la ville française d'Amiens pour fêter le cinéma des différents continents. Sur les 12 titres de films étrangers en compétition qui composent autant de voyages que de genres cinématographiques, on y trouve le dernier long métrage du cinéaste algérien Merzak Allouache, Harragas, un mélodrame d'un groupe de «brûleurs» des frontières qui tentent de traverser la mer clandestinement sur une barque de fortune en quittant la mer mostaganémoise, direction l'Espagne. Le film se veut d'emblée noir. L'entrée en matière de ce film, est l'image d'un garçon pendu qui nous jette de plain-pied dans la sordide vie de ces jeunes sans avenir, qui cherchent leur salut par tous les moyens, quitte à mourir pour se délivrer de leur mort lente et étouffante dans cette Algérie présentée par Merzak Allouache comme un purgatoire. Omar s'est suicidé, ses amis Rachid, Nasser le beau gosse et sa copine Imène tentent la harga. Pour ce faire, ils font appel à ce véreux personnage Hassan Mal de mer campé par le réalisateur Okacha Touita mais le projet ne va pas se passer comme prévu. Il est interrompu par la descente d'un policier qui prend en otage tous ces préposés à la harga en mer. Et là, la véritable aventure humaine commence. Seuls au milieu de nulle part, les protagonistes dont Hakim le Barbu apprendront à faire avec le nouveau passager, imposé au groupe malgré lui. Le film de Merzak Allouache brosse non seulement le profil improbable du harraga mais donne à voir la vision de ce policier pris dans la tourmente et l'échec de sa vie dans sa désespérante «chasse» de ces «morts-vivants» jusqu'à perdre sa raison. Clin d'oeil à la politique de l'émigration choisie de Sarkozy et à plein de clés sociopolitiques du pays, le film aurait pu gagner en authenticité si ce n'était cette sempiternelle question de la langue qui revient décidément comme un leitmotiv dans les films algériens, le même scénario se répète comme dans Viva l'Aldjérie de Nadir Mokhnache. Les jeunes personnages parlent un peu trop le français dans ce film. Ça sonne tout bonnement faux. Et dire que ce sont des jeunes qui viennent des cités populaires telles qu'elles sont dévoilées dans le film. Si la tension psychologique se ressent vers la seconde partie du film, le malaise gagne les plus avertis. Dur est certes le film, mais l'humour est au rendez-vous contre toute attente et ceci est visible grâce à la force des situations cocasses dont certaines sont rehaussées par la qualité de jeu du comédien Nabil Asli. Pour info, Harragas a été récipiendaire récemment du Grand prix du Festival de Valence en Espagne ainsi que le Prix de la meilleure musique. Dans un autre registre moins politique mais tout aussi sensible et délicat, est le second film de la Tunisienne Raja Amari, Les Secrets. Présenté mardi dans le cadre d'une soirée-événement de la Fondation Groupama pour le cinéma, ce film se veut des plus sombres et poignant. Après Satin rouge, la réalisatrice maintient apparemment son sujet favori, la femme. Une mère et ses filles squattent une maison de maître inoccupée, à la campagne. Un soir, le fils du propriétaire revient. La vie des trois occupantes va être bouleversée, a fortiori quand elles vont prendre sous leurs ailes ce fils qui ne devait pas apprendre leur existence. Basé sur le non-dit et la séquestration, ce film témoigne aussi de la cassure psychologique et sociale qui découle de la confrontation entre deux mondes, celui des riches qui habitent en haut et celui des misérables qui vivent en bas. Les Secrets, c'est aussi un regard d'une femme sur le statut de la femme arabe qui reste ici encore ambigu ou fantasmé. Le cinéma tunisien n'a pas fini, malgré les apparences, de méditer sur la sexualité des femmes dans la société arabe. Le film qui rappelle étrangement le Silence des palais de Moufida Tlatli est poignant mais manque de quelque chose pour vous prendre à la gorge. Même si la tension dramaturgique est là du fait du sujet de l'inceste et le jeu des comédiens, (formidable est comme d'habitude Hafsia Herzi), le film nous laisse sur notre faim. La tension dramatique si attendue n'atteint pas son paroxysme, elle l'effleure pourtant par moment grâce à une musique de «psychopathe», celle de cette mère qui fredonne une chanson pour bébé. Une musique pour accentuer ce côté dépressif du personnage. Mais la sauce ne monte pas. Or tout semble être là pour y arriver, le décor, les personnages féminins, l'espace mais les «forts moments émotionnels» chers au cinéaste brésilien, G.Arriaga qui donnera une leçon magistrale sur le scénario, cet après-midi-là, semblent tomber en désuétude. Pas encore atteints. Les Secrets est un film franco-tuniso-suisse mais pourtant, il ne souffre d'aucune faiblesse de langage. La langue est respectée telle qu'elle est dite en Tunisie alors pourquoi nos cinéastes s'évertuent-ils à faire parler toujours leurs comédiens dans une langue qui n'est pas celle de la réalité de l'histoire?