Dans un pays où le pourcentage de musulmans est de 5%, où le risque d'attentat terroriste n'existe pas, la votation sur les minarets est un prétexte pour stigmatiser «l'islamisation». Les mosquées seront-elles aussi interdites en Europe? Vote de la peur et de l'intolérance, décision inquiétante: l'interdiction de construire des minarets en Suisse, adoptée dimanche par référendum, suscite une levée de boucliers en Europe et dans des pays musulmans qui dénoncent l'«islamophobie» et la «haine» de l'Islam. «C'est une mauvaise surprise alors que tout le monde ne s'attendait pas à une telle interdiction, avec une telle majorité de 57,5%. Ce résultat montre une certaine méfiance et une peur de l'Islam et un amalgame entre l'image d'un Islam, religion de tolérance et d'ouverture, et celle d'une minorité tenant d'un islamisme plus activiste et politique», estime Dalil Boubekeur. Pour le recteur de la Grande mosquée de Paris, les résultats de ce référendum dénotent «un vote de méfiance et de peur, résultat des campagnes médiatiques contre l'Islam et de toute la propagande islamophobe enregistrées un peu partout en Europe». Tandis que le secrétaire général de l'Organisation de la conférence islamique (OCI), Ekmeleddin Ihsano lu, s'est dit «déçu et préoccupé». M.Ihsanoglu a d'ailleurs déploré dans un communiqué «une évolution malencontreuse qui ternit l'image de la Suisse en tant que pays respectant la diversité, la liberté de culte et les droits de l'Homme». Un avis partagé par l'ensemble des observateurs. Puisque même en Suisse, le secrétaire général de la Conférence épiscopale, Mgr Felix Gmür, a qualifié ce vote de «coup dur pour la liberté religieuse et l'intégration». Par peur de l'onde de choc, les Européens ont largement déploré le choix des Suisses et ne cachaient pas leur crainte face aux conséquences d'une telle décision. Des craintes justifiées puisqu'hier le député néerlandais d'extrême droite Geert Wilders a appelé les Pays-Bas à organiser une consultation populaire similaire. Résumant un malaise occidental, le ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, s'est déclaré «un peu scandalisé» par un vote, expression selon lui «d'intolérance». Alors qu'un responsable du parti de la chancelière allemande Angela Merkel, la CDU, Wolfgang Bosbach, a affirmé que ce vote traduit la peur d'une islamisation de la société et «cette crainte doit être prise au sérieux». Le tollé international soulevé par la votation sur les minarets a obligé l'ONU, qui dénonce une «discrimination évidente», à étudier la conformité de l'interdiction avec le droit international. Ni en Suisse, ni à l'étranger, on ne s'attendait à un tel résultat. Pour les observateurs, la campagne faite au titre de ce référendum visait une population en perte de confiance. La levée récente du secret bancaire pour les évadés fiscaux sous la pression internationale, l'effondrement de Swissair et d'autres fleurons de l'économie suisse, les bisbilles avec le dictateur libyen, la crise économique mondiale...autant de raisons qui ne peuvent expliquer à elles seules la réussite d'une campagne parfaitement menée contre un ennemi commode. On peut malheureusement craindre que les initiateurs de cette votation continuent sur leur lancée en demandant l'interdiction des mosquées et des centres culturels musulmans. Les adversaires de la construction de mosquées en Europe prennent souvent pour argument le fait que les chrétiens n'ont pas le droit de construire des églises dans certains pays musulmans. L'Union européenne y voit d'ailleurs une barrière à l'adhésion de la Turquie. Mais l'Occident ne peut pas plaider pour la liberté de culte dans les pays musulmans tout en ne l'appliquant pas chez soi. Mais l'interdiction de minarets n'est qu'un prétexte. En effet, sur le site de l'Initiative populaire, on peut lire «celui qui construit des minarets veut rester ici». En filigrane, «musulmans de tout bord repartez chez vous».