Des mesures draconiennes viennent d'être initiées par le ministère de l'Intérieur en vue de pousser les Algériens à se précipiter, nombreux, aux urnes le 10 octobre prochain. Le ministre de l'Intérieur, Yazid Zerhouni, a présidé hier un séminaire régional sur la préparation des élections locales du 10 octobre. Dans une allocution très remarquée, le ministre est longuement revenu sur ce qu'il juge être «les raisons objectives et techniques» qui ont amené le très faible taux de participation aux législatives du 30 mai dernier. Le ministère de l'Intérieur, a annoncé son premier responsable, s'est livré à un travail statistique draconien, jamais fait auparavant, dans le but de constituer une réserve documentaire très précieuse, mais aussi pour situer les raisons qui ont poussé près de 53 % de l'électorat algérien à bouder les urnes. A l'aide de diapositives, de tableaux, de chiffres et de statistiques très savantes, le ministre s'est livré à un véritable cours magistral duquel il ressort que le taux de participation aurait dû être de 60 à 65 % au lieu des 47 % officiellement annoncés. D'entrée de jeu, Zerhouni révèle que si le taux d'abstention a été assez faible chez les hommes, avec seulement 44 %, il a atteint un pic anormal chez la gent féminine avec 68 %. Pour expliquer ce phénomène, le ministre n'a pas hésité à qualifier de «machiste» la société algérienne, évoquant les mille et une contraintes familiales qui auraient pu pousser une femme à bouder les urnes le 30 mai dernier. C'est, justement, cette frange de la société que le ministère va tenter de convaincre, d'amener aux urnes le 10 octobre prochain par des moyens quelque peu discutables selon de nombreux avis recueillis sur place. L'autre raison qui explique ce faible taux, poursuit le ministre, aurait trait aux doubles inscriptions, évaluées, apprend-on, à 475.000 cas. Ce phénomène ne trouve nulle part son explication. En effet, pour se faire inscrire dans une quelconque commune, il faut absolument ramener le document de radiation des listes électorales de sa commune d'origine. La troisième raison concerne, elle, les étudiants, dont le nombre est de 550.000 et qui étudient le plus souvent loin de leur commune d'origine. Le vote, qui a eu lieu en pleine période d'examens, en a empêché pas mal d'exprimer leur voix. Le phénomène de l'exode dû au terrorisme touche, lui, 1,2 million de personnes, dont 800.000 sont en âge de voter sans pouvoir exercer ce droit. Dans ces énumérations, on se rend compte que d'autres raisons, non moins importantes, ont totalement été occultées par le ministre, telles que l'appel au rejet lancé par des ténors de la politique, la fronde en Kabylie avec un taux de participation général de moins de 2 %, le fait que beaucoup de citoyens disent ouvertement ne plus croire aux élections... Comme signalé plus haut, le ministère va jeter tout son poids sur les femmes qui n'ont pas voté. Des cartes détaillées, ainsi que des tableaux exhaustifs, ont été dressés à cet effet pour être remis aux autorités locales concernées. Il sera demandé aux policières, aux femmes de la Protection civile et aux assistantes sociales de faire du porte-à-porte. Des questionnaires types ont été préparés même s'il est laissé le soin aux autorités locales d'en modifier le contenu suivant les besoins et les spécificités de chaque région avec tous les risques de dérapage pouvant en résulter. La première question, la plus contestable sans doute, s'intitule comme suit: «Savez-vous que vous êtes inscrit dans le fichier électoral, alors pourquoi n'avez-vous pas voté?». Cette question remet en cause un des fondements les plus immuables des libertés démocratiques, celui du droit au secret absolu en matière de vote et de choix politiques. D'autres questionnaires, plus élaborés encore, tenteront, eux, d'amener les gens à trouver des vertus à ces joutes électorales. L'un d'eux, qui ressemble au sondage en cours sur notre site Internet, cherche à pousser les citoyens à exprimer en clair les besoins les plus urgents qu'ils attendent de leurs futurs élus locaux. Le tout devant se faire par écrit, il y a fort à craindre que tous ces documents ne constituent des sortes de «fichiers» sur la vie politique des citoyens. Le risque est d'autant plus grand que les agents du ministère, partis en campagne avant l'heure, attaqueront dans un premier temps les sites à grandes densités humaines avant de poursuivre le même travail au niveau de l'Algérie profonde une fois passées les élections du 10 octobre prochain.