Le marché monétaire sera considérablement sollicité dans les années à venir par les entreprises algériennes, les investisseurs étrangers et l'Etat lui-même. Au moins jusqu'en 2014, devrait prévaloir dans notre pays la conception de l'Etat gestionnaire. L'Etat algérien ne compte pas seulement assurer la sécurité interne et externe sur le plan politique mais aussi la sécurité économique et sociale. Par le fait de pouvoir continuer à capter l'essentiel de la richesse créée par la nation (c'est- à- dire la rente pétrolière), l'Etat algérien demeure un Etat providentiel. Il tend même à devenir un agent macroéconomique autonome qui assure l'équilibre global de la nation et qui remplit une mission de sauvegarde du système économique. Il suffit de se référer aux grandes tendances de la loi de finances 2010 pour s'en convaincre. On déclinera ici quelques-unes d'entre elles: a) 5860 milliards de DA au titre des dépenses, alors que les recettes seront de 3081 milliards de DA, ce qui donne un déficit budgétaire de 2279 milliards qui sera en partie couvert par les ressources du Fonds de régulation des recettes dont le montant atteint plus de 4000 milliards de DA. b) le budget de fonctionnement sera de 2838 milliards de DA, en augmentation de 6,6% par rapport à l'exercice 2009; c) 1000 milliards de DA seront consacrés à l'amélioration des conditions de vie des populations (habitat, urbanisme, alimentation en eau, gaz, électricité, transports urbains, infrastructures sanitaires, etc.); d) 1600 milliards de DA seront alloués au fonctionnement des services de l'Etat (dépenses salariales, incidences du Snmg sur les tranches supérieures des revenus, en raison de l'indexation du premier sur les secondes, subventions diverses, etc.); e) 1000 milliards de DA seront affectés à la politique sociale (subventions aux établissements hospitaliers, contribution au Fonds de réserve des retraites, subventions de soutien des prix, aides aux enfants scolarisés des familles démunies). A ces mesures, il faut ajouter les différentes enveloppes affectées à la promotion de l'emploi, aux exemptions et exonérations fiscales et à la création de divers fonds (énergies renouvelables, industrie cinématographique). Le poids financier prépondérant de l'Etat Il résulte de ce qui précède que l'Etat algérien est appelé à demeurer l'ordonnateur des dépenses nécessaires à la pérennité de la société (dépenses de protection sociale, d'allocation chômage) et, ce faisant, la puissance publique se place d'emblée au-dessus de tous les agents du système. L'omniprésence financière de l'Etat signifie-t-elle que la diversification de l'économie algérienne est une nouvelle fois renvoyée aux calendes grecques? Pour pourvoir répondre à cette question, il faut avoir présent à l'esprit que le défi lancé à notre pays est celui de construire graduellement une économie qui produise de la richesse et des emplois durables, qui soit respectueuse de l'environnement, tout en permettent une insertion vertueuse de notre appareil de production dans l'économie mondiale. Or, pour que l'Etat algérien puisse disposer dans l'avenir de marges de manoeuvre suffisantes et assurer ses fonctions d'affectation et de redistribution, il est indispensable que se diversifient les sources de financement de l'économie et aussi celles de la protection sociale. Dans la LF pour 2010, la fonction prééminente est celle de la redistribution, le souci de la solidarité nationale l'emportant sur les autres exigences, à travers le montant de transferts sociaux. Certes, on pourra se réjouir que la fonction d'affectation ait été facilitée par l'importance des recettes de la fiscalité ordinaire qui atteignent 1245,7 milliards de DA, soit l'équivalent de 40,4% du montant global des recettes; ce ratio, étant, cependant, d'autant plus surprenant, que l'importance des exonérations fiscales de toutes sortes accordées dans la LF 2009, augurait mal d'une augmentation du rendement de la fiscalité ordinaire. En revanche, force est d'admettre que l'Etat algérien ne dispose pas des moyens de stabiliser la conjoncture, c'est-à-dire de maintenir la demande globale. Les défaillances récurrentes déclinées à juste titre par le Dr Lamiri (Cf. El Watan Economie, 7-13 décembre 2009) dans toutes les stratégies économiques conçues à ce jour, sont consubstantielles au modèle d'Etat rentier dont notre pays peine à se déprendre. Il en est, notamment ainsi, de la fonction de stabilisation de la demande par l'Etat. Dans le modèle rentier de l'économie, il est impossible de déterminer les périodes de basse conjoncture et les périodes de haute conjoncture, afin que la puissance publique puisse adapter son niveau d'intervention. On sait qu'en période de conjoncture basse, l'Etat revalorise les revenus pour les injecter dans le circuit économique, à travers les dépenses publiques ou par une politique monétaire appropriée, dans le but de soutenir la demande et de relancer la machine économique. En période de conjoncture hausse, l'Etat doit au contraire contrôler la création de richesses (par exemple en diminuant la distribution de crédit) pour pouvoir freiner la demande globale, comme cela a été décidé dans la LFC 2009. Ce qui est vrai, c'est que la période de conjoncture basse correspond chez nous à une augmentation des revenus pétroliers et la période de conjoncture haute est celle de la diminution des revenus pétroliers qui va imposer à la puissance publique d'agir sur le levier de l'offre. Il y a, en réalité, une véritable perversion des fondements mêmes de la macroéconomie, puisqu'il s'agit de transposer sur un modèle rentier monoproducteur et monoexportateur, des outils d'intervention supposés être efficaces seulement dans les économies créatrices de richesses et d'emplois. L'Etat doit gérer rigoureusement sa dette Moins l'économie algérienne est diversifiée et plus la puissance publique est amenée à intervenir pour financer les multiples activités des agents économiques et garantir un minimum de protection sociale à la population. Plus l'économie algérienne s'engagera dans la voie de la diversification et plus les sources de financement de l'économie seront nombreuses (notamment grâce à l'augmentation des rentrées fiscales et parafiscales) permettant ainsi à l'Etat de cibler ses domaines d'intervention et de limiter le déficit budgétaire. La dette publique est appelée à croître dans les années qui viennent; le cap ayant été fixé dans la LF 2008. Le budget est voté en déficit et il est exécuté en déficit, sans que l'on sache malheureusement le montant de la différence entre le montant du budget originel et celui des dépenses exécutées. Non seulement, l'Etat algérien, au regard de la diminution prévisible de la fiscalité pétrolière dans les années à venir et du délai nécessaire pour sortir de la logique rentière (15 ans minimum à condition de s'y engager dès maintenant) ne peut se permettre de recourir à des stratagèmes financiers et comptables pour masquer les déficits (à travers par exemple les différentes opérations de débudgétisation auxquelles il a recours), mais il doit dès maintenant mettre en place des institutions spécialement chargées de la gestion de sa dette et de sa trésorerie. L'Etat doit également procéder à une recension exhaustive de toutes les formes de dettes qu'il a contractées. S'agissant de la dette négociable de l'Etat, il ne suffira pas d'instituer des titres standardisés (qui existent déjà) grâce auxquels le Trésor public va rechercher des financements à court, moyen et long terme. Il faudra aller plus loin, dans la mesure où l'Etat ne peut pas laisser en circulation des emprunts onéreux. Cela signifie qu'il doit réactiver les services du Trésor pour que ces derniers rachètent des titres soit par adjudication soit en intervenant directement sur le marché. Mais la bonne volonté des gouvernants sera impuissante à y pourvoir si les quatre conditions suivantes ne sont pas réunies: (a) régularité des émissions de titres; (b) transparence des procédures; (c) simplicité des titres offerts et surtout (d) liquidité des emprunts. Ceci passe également par l'existence d'un marché secondaire de la dette, c'est-à-dire un marché où vont se rencontrer les propriétaires de titres déjà émis et les acheteurs désirant acquérir ces titres. Il faut surtout espérer que le Conseil national des impôts qui sera mis en place sous peu, détermine les voies et moyens susceptibles d'améliorer le rendement de la fiscalité ordinaire sans pénaliser l'outil de production et l'effort d'innovation mais également évalue l'influence des niches fiscales et des niches sociales généreusement accordées par le gouvernement sur le niveau de l'activité, l'évolution des rémunérations et le niveau des prix. Le ministre des Finances justifie les mesures d'allègement des charges et d'exemptions fiscales au profit de plusieurs catégories d'employeurs par la nécessité de relancer l'activité économique et de créer des emplois. Soit. Mais il faudrait, dans le même temps, afin que l'aide de l'Etat soit poursuivie, dans le respect des équilibres financiers globaux, que celle-ci ait réellement un impact positif sur les niveaux de l'emploi, l'indice des prix à la consommation et la qualité des biens et services proposés au consommateur. Si cette évaluation n'est pas faite, les prochaines lois de finances reconduiront systématiquement les mêmes niches sociales et fiscales, aggravant ainsi le déficit budgétaire, donc la dette publique, et hypothéquant les ressources aléatoires du FRR. C'est un choix que le gouvernement doit faire en conscience, sauf à faire payer au prix fort les dérapages budgétaires actuels et ceux prévisibles aux générations à venir, ce qu'il dit vouloir éviter(Cf. Chronique de M.Mékidèche in Liberté, Supplément Eco du 26 octobre 2009). Par ailleurs, il est temps que le gouvernement redynamise le marché financier. La raison immédiate tient au fait que le marché monétaire, dont la modernisation est certes en cours, sera considérablement sollicité dans les années qui viennent par les entreprises algériennes (privées et publiques), par les investisseurs étrangers (sur le commandement de la LFC 2009) et par l'Etat lui-même. Il est donc nécessaire d'élargir les sources de financement de l'économie en permettant un meilleur accès aux capitaux,pour les entreprises industrielles et commerciales qui sont appelées à être créées d'ici 2014 (pas moins de 200.000 PME/PMI). La redynamisation du marché financier concerne aussi bien le marché des obligations que celui des actions. S'agissant du premier, il est nécessaire d'élargir la palette des entreprises habilitées à lancer des emprunts obligataires (ce qui suppose une supervision très étroite de la part de la Cosob); s'agissant du second, des mesures volontaristes devront être adoptées pour inciter des entreprises à entrer en Bourse, tant il est vrai que le montant de la capitalisation boursière algérienne, comparée à celle du Maroc et même à celle de la Tunisie, reste insignifiant (0,25% du PIB). L'Etat doit devenir un patron performant Ceci passe par une série de mesures dont la première est l'évaluation sans complaisance du bilan des autorités d'affiliation des EPE (successivement fonds de participation, holdings publics et depuis 2001, sociétés de gestion des participations). En outre, une règle d'or devrait être posée, celle de l'obligation pour les EPE d'équilibrer leurs comptes d'exploitation au prix d'une gestion rigoureuse. En ce qui concerne les EPE qui assurent une mission de service public (Sonelgaz, AT), il est indispensable que leurs sujétions et leurs contraintes soient l'objet d'une définition rigoureuse et d'une compensation financière adéquate, que ce soit pour leur budget d'investissement ou leur budget d'exploitation. L'idéal serait d'aboutir à des contrats pluriannuels entre l'Etat et les EPE, dans lesquels les grands objectifs sont déterminés (production, résultats d'exploitation, moyens mis en oeuvre, etc.) ainsi que les obligations respectives des parties. L'idéal serait aussi, en cette phase de maturation de la stratégie industrielle du pays, que soit élaboré un plan stratégique précis pour les EPE, qui décline les évolutions prévisibles de la demande ainsi que l'analyse des risques industriels et commerciaux, de sorte que puissent être anticipés les choix économiques stratégiques de la nation (le cas de la Snvi que l'Etat doit sauvegarder à tout prix est emblématique à cet égard). Pour rationaliser les aides financières de l'Etat au profit des EPE, il est indispensable d'organiser pour chacune d'elle un véritable débat de management moderne qui puisse porter sur l'élaboration de sa stratégie, les critères d'évaluation, les méthodes de contrôle et de suivi de la gestion. Mais ceci suppose également que l'Etat définisse, une fois pour toutes, la téléologie des privatisations qu'il entend promouvoir et prenne acte de la totale inadéquation du processus mis en place depuis 2001(Cf. M.Goumiri, «Echec d'une politique de croissance par les privatisations», El Watan, Supplément Economie, 7- 13 décembre 2009). (*) Professeur en droit des affaires [email protected]