Des interventions d'un excellent niveau ont eu lieu hier, à la deuxième journée du Colloque scientifique sur la vie et l'oeuvre de Kateb Yacine, organisé à la Maison de la culture Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou. C'était au tour de Belkhamssa Karima, enseignante au département de langue arabe de l'université de Béjaïa de développer un thème important par rapport au récepteur dans le discours de Kateb Yacine. Devant une assistance attentive, l'oratrice a insisté sur l'originalité de la structure d'écriture de Kateb Yacine dans son roman Nedjma. La conférencière a rappelé que ce qui a fait la grandeur de ce roman, en partie, c'est le fait que Kateb Yacine ait brisé toute linéarité dans le style d'écriture. «On ne peut pas lire Nedjma de Kateb Yacine comme on lirait un tout autre roman. Il faut une grande concentration et des efforts dans la lecture et des relecture même afin de parvenir à saisir le sens et les messages de l'écrivain», a souligné Bel-khamssa Karima. Pour cette dernière, Nedjma n'est pas un roman qu'on lirait juste pour la détente. Contrairement au roman linéaire, Nedjma répond à une tout autre stratégie d'écriture. L'auteur passe aisément de la narration de l'enfance d'un personnage à des événements se déroulant dans le présent inhérents à un autre personnage, a indiqué la conférencière. Cette dernière rappelle que bien que Nedjma soit le titre du roman et que c'est autour d'elle que se joue l'essentiel de la trame de ce livre, toutefois, elle n'apparaît que rarement dans le livre. C'est un personnage idéal dont Kateb Yacine ne parle pas trop. Ce sont plutôt les autres personnages qui l'évoquent, chacun à sa manière. Il s'agit de Mourad, Lakhdar, Mustapha et Rachid tous, amoureux secrétement de Nedjma. Qui est en réalité Nedjma? s'interroge l'intervenante qui précise que tout le monde dit aujourd'hui' que Nedjma, c'est l'Algérie. «Mais comment un chercheur pourrait prouver cela?», ajoute Belkhamssa Karima. Cette dernière précise que le roman de Kateb Yacine est engagé dès lors qu'il aborde la question de l'identité algérienne confisquée à l'époque. Elle a fait lecture d'un extrait de Nedjma où l'auteur fait référence à des personnages historiques comme Jugurtha et évoque les noms de Numidia et de Cyrtha. L'intervenant souligne que le côté engagé de Nedjma ne pouvait pas avoir un grand impact sur la population car ce n'est pas tout le monde qui lit des romans. En revanche, tout le monde peut écouter et voir. C'est ce qui explique que Kateb Yacine ne soit jamais passé ni à la télévision ni à la Radio algérienne. Comme le confirme le journaliste Rachid Hammoudi dans sa conférence plus accessible à un large public car moins académique. «Contraire-ment à ce que pense la majorité, Kateb Yacine s'exprimait librement et fréquemment dans la presse écrite algerienne», indique le journaliste qui rappelle même les dates où des journaux comme El Moudjahid, Algérie Actualité et Révolution Africaine avaient publié des interviews avec l'auteur de Nedjma. Le conférencier a aussi rappelé le parcours journalistique de Kateb Yacine, particulièrement dans le journal Alger Républicain: «Mais Kateb Yacine, vu son caractère libertaire ne pouvait pas supporter pendant longtemps la bureaucratie des rédactions». Kateb Yacine voyageait en effet beaucoup tant à l'intérieur du pays qu'à l'étranger. Aucune de ses pièces de théâtre n'était interdite à la présentation. Des tournées étaient organisées régulièrement dans plusieurs wilayas du pays. «Personnellement c'est dans la grande salle de cette Maison de la culture que j'ai vu la pièce L'homme aux sandales de caoutchouc», témoigne le journaliste de Horizons. Ce dernier insiste toutefois sur un fait important: les interviews qu'accordait Kateb Yacine aux journaux algériens n'évoquaient pas la situation politique à l'intérieur du pays et il était plus question de parler des événements internationaux. De même, le même orateur ajoute que Kateb Yacine entretenait de bonnes relations avec le président Houari Boumediene. Et il donne, en guise de preuve, l'admiration que vouait l'écrivain au défunt président, la dédicace qu'il a signée à sa veuve Anissa où il écrivait que Boumediene était le seul vrai président que l'Algérie avait eu jusque-là. L'orateur cite, en revanche, deux écrivains qui étaient complètement exclus des médias à l'époque, à savoir Rachid Boudjedra et Mourad Bourboune. Bien que les interventions étaient enrichissantes, il n'a pas été possible de vraiment cerner toutes les facettes de Kateb Yacine. Mais le public a beaucoup apprécié le niveau de ce colloque et a exprimé vivement que des rencontres de qualité comme celles-ci soient renouvelées et soient dédiées à des écrivains comme Mouloud Feraoun et Mouloud Mammeri.