C'est l'histoire africaine de la lente prise de conscience des cultivateurs de coton, et du «fil à leur patte» attaché par les «exploiteurs étrangers». Plus simplement, c'est l'histoire du «coton en tant que plante et matière» en Afrique de l'Ouest, mais cette «histoire» montre aussi combien «le coton y est bien plus qu'une simple espèce végétale. Il est le résultat d'un processus historique complexe.» C'est ce que Marie Philiponeau nous propose de développer dans son bel ouvrage Le Coton et l'Islam, fil d'une histoire africaine (*), préfacé par Ali El Kenz, professeur de sociologie dont le parcours de chercheur universitaire et les nombreuses publications sont bien connus de nos lecteurs et, tout particulièrement, des spécialistes en la matière. Au reste, «Rapporteur et membre du jury de Melle Marie Philiponeau», il est l'initiateur de la publication du présent ouvrage, adapté de l'excellente thèse de cette dernière, et réécrite à l'intention d'un public plus large. L'auteur du livre qui nous intéresse ici a fait des études universitaires d'anthropologie politique et économique, jusqu'au doctorat. Elle s'est donnée pour objet d'étude «l'évolution des communautés rurales d'un pays agricole comme le Burkina Faso» et, par ainsi, elle a tenté de «définir la place de cette zone géographique dans l'histoire». Or la culture du coton est si bien entreprise dans ce pays et ses effets socio-économiques si importants sur les populations qu'elle mérite, estime l'auteur, qu'on en interroge «le processus historique complexe». De même, précise encore l'auteur, le coton «est l'indice qui permet de reconstruire le passé de certains villages. Il est l'élément qui permet de prouver que la colonisation a désintégré un complexe artisanal et commercial mis en place par le commerce musulman pour bâtir un système d'exploitation des matières premières». Mais restituer l'histoire du coton dans ce contexte n'est pas aisé. C'est une histoire longue, marquée par les grands événements qui sont apparus dans l'Histoire telles les grandes découvertes techniques dans ce domaine précis et dans les épisodes des relations entre les pays, à la suite des guerres et des conquêtes coloniales. Le système économique qui a caractérisé la plupart des «dominations», c'est, dans certains pays comme les Etats-Unis, essentiellement l'esclavagisme, et dans d'autres, plus récemment, le développement d'un processus de libération économique permettant - mais à quelle(s) condition(s)? - l'émergence d'une société autochtone plus ou moins libre de se construire une économie nationale spécifique. On assure que l'histoire recouvre un grand nombre de pays puisque le coton est produit par environ 80 pays. L'origine du coton est à chercher dans au moins quatre siècles av. J.-C. en Egypte, en Inde, en Chine, au Pérou, en Afrique subsaharienne,...Son évolution, dans le temps et dans l'espace, est marquée par les premiers échanges entre pays du Moyen-Orient, poursuivis à travers le monde méditerranéen et, par la suite, le phénomène de transfert Orient-Occident a promu l'art du tissage du coton. Cependant, ce sont les Arabes qui ont été les agents de diffusion de la civilisation du Moyen Âge et qui ont donné la nouvelle impulsion à la culture cotonnière. Par exemple, l'Espagne musulmane a été le siège de l'industrie cotonnière la plus importante en Europe avant la Révolution industrielle. En effet, le mot coton est issu de l'arabe qoutnou, qoutoun, formé à partir de la même racine du verbe qatana, «habiter un lieu». C'est sans doute ce qui explique cette réflexion de Marie Philiponeau: «Le coton est ainsi un des fils qui relie l'histoire de l'expansion de l'Islam (8ème-19e siècle) à celle de l'expansion coloniale (fin 19e siècle-20e siècle) sur une période de plus de dix siècles.» Marie Philiponeau conclut: «Après la période de décolonisation et à l'heure de la mondialisation, le coton a été placé au coeur des politiques de développement. Depuis plus d'une cinquantaine d'années des régions de nombreux pays africains, tel le Burkina Faso, ont été en totalité consacrées à une agriculture cotonnière commerciale.» L'auteur, prenant prétexte «des profonds bouleversements [qui] sont aujourd'hui observables dans l'organisation agricole des villages» de ces régions, a entrepris «une étude historique et anthropologique centrée sur une région-clef du Burkina Faso: celle de Houndé.» Le livre Le Coton et l'Islam de Marie Philiponeau, après un prologue exposant son objet, s'ouvre par une introduction motivante qui éveille l'intérêt du lecteur, c'est «L'odyssée du coton en Afrique subsaharienne». Comme tout travail parfaitement construit, le sujet est traité en trois parties: «La période musulmane, micro-histoire des réseaux soninké-dioula en terre bwaba, 9e-19e siècle»; «Le capitalisme colonial, 20e-21e siècle»; «L'actuel système de lignager ‘‘cotonnier´´, une modernisation conservatrice». Depuis les pratiques traditionnelles de la culture et du travail du coton et de sa commercialisation - que de chemins parcourus! que de traces ont laissé les enjeux sociaux, religieux, économiques, politiques sur les populations! Le filon de l'Or Blanc, en dépit du luxe qu'il suppose annoncer dans les familles royales de jadis et dans celles des nouveaux riches, conclut à un échec du bonheur social, «à l'exclusion sociale des individus les plus fragiles» et éveille la conscience populaire violentée qui rêve de richesse et de départ pour un autre monde. Que ce soit au Burkina ou ailleurs, tant qu'on ne trouve pas des solutions aux solutions et qu'on continue à dire que, à y faire, «c'est du coton», «les damnés de la terre» resteront impuissants, n'osant lever aucun regard solaire vers le ciel bleu. (*) Le Coton et l'Islam par Marie Philiponeau, Casbah-Editions, Alger, 2009, 224 pages.