Des magouilles en série. C'est ce qui risque d'alimenter pour longtemps les discussions des citoyens. S'il y a une privatisation qui a porté ses fruits, c'est bien celle de l'Etat. Sinon, comment expliquer autrement le fait que de nombreux responsables se servent des deniers de l'Etat comme ils le feraient de l'argent de leur poche? Les affaires de corruption, de détournement et de dilapidation se succèdent ces derniers jours. Dans le lot des affaires révélées au grand public, on constate que la passation de marché selon des procédures contraires à la législation est légion. C'est vrai que les plans de développement de plusieurs milliards de dollars décidés par le président de la République n'ont pas mis beaucoup de temps avant d'aiguiser l'appétit de toute une poignée de gens vivant du gain facile. Au risque de pourrir toute une génération de gestionnaires. La corruption et les autres écarts dans la gestion de l'argent public sont loin d'être seulement une affaire de justice. Ils ont des répercussions éminemment politiques car il est difficile de vouloir édifier une société basée sur la citoyenneté si les Algériens perdent confiance dans leurs gouvernants et leur élite. Le fossé ne fait que se creuser davantage entre les citoyens et la hiérarchie politique. Comment demander à des travailleurs de se satisfaire d'une augmentation salariale de 3000 dinars sous prétexte que les caisses de l'Etat ne peuvent pas supporter des dépenses plus importantes alors qu'en même temps, des milliards sont empochés sans aucun mérite. Toute l'autorité morale de l'Etat, ou ce qui en reste, s'en trouve sapée. Les révélations en cascade sur la mauvaise gestion des deniers de l'Etat donnent l'impression qu'on est plongé irrémédiablement dans une ère où toute notion de service public est absente. Tous pourris, alors? En tout cas, le fait que des hommes d'horizons divers soient plongés dans des affaires douteuses n'est pas pour rassurer l'opinion. De nombreux échelons de la hiérarchie, jusqu'aux cabinets ministériels, sont cités dans des scandales. Des cadres des ministères de la Pêche et des Travaux publics sont sous l'oeil attentif de la justice. Le directeur général de Sonatrach n'est pas, non plus, dans une situation enviable. Même Tassili Airlines a son lot de soupçons pour passation de contrats sans respect de la législation. Travaux publics, pêche, hydrocarbures, est-ce tout? Evidemment, que non! Les transports n'échappent pas à la loi des séries. Il fallait commencer par des directeurs au sein du ministère pour que les soupçons viennent peser sur des gestionnaires de l'Entreprise du Métro d'Alger. A qui le tour, pourrait-on s'interroger? Les soupçons sont tels que mêmes les ministres sont surveillés de près. Mais est-on assuré que les magistrats ou un autre corps de métiers sont totalement immunisés contre la corruption? Si le gouvernement décide de sévir, il y a fort à parier que le public n'est pas au bout de ses surprises et que de nombreux dossiers vont être portés à sa connaissance. Pourvu que la campagne ne touche pas que les seconds rôles. Faire tomber les têtes sera beaucoup plus intéressant que de se contenter d'inquiéter les exécutants. Le sentiment d'impunité qui, la plupart du temps, n'est pas qu'un sentiment, est le meilleur allié des gens peu scrupuleux. Le système de protection dont jouissent les corrupteurs et les corrompus n'est pas loin de celui des parrains instauré par la mafia, à telle enseigne qu'en Algérie, police et gendarmerie ne sont plus dans la capacité de s'attaquer au mal. Il a fallu l'intervention des services dépendant de l'Armée pour débusquer certains dossiers. Sans cela rien ne serait fait. Voilà jusqu'où peuvent conduire les affaires. A paralyser les services de l'Etat. A les privatiser. A être au service exclusif de ceux qui sont censés servir. Des gens bien placés ne se gênent pas pour détourner à leur profit le produit des impôts des travailleurs ou les recettes de l'Etat. Et c'est pour ces raisons qu'ils doivent rendre des comptes. Il y a dans la démarche, des conséquences désastreuses pour le moral de la nation. Que vaudrait l'effort, si pour s'enrichir il suffit de puiser dans les caisses? Qui va convaincre la jeunesse qu'il existe encore une morale dans ce pays? Au vol et au détournement, il ne faut pas ajouter la frustration en tentant de dissimuler l'ampleur du mal. Il ne faut pas, non plus, prétexter que la justice est sur l'affaire pour que les politiques s'en lavent les mains et se dispensent de tout effort d'explication. Quand on est responsable, on n'ignore pas.