Plusieurs facteurs sont soulevés, économique, politique, climatique mais aussi religieux et moral... Dernier livre d'Amin Maalouf, Le dérèglement du monde, apporte des explications claires sans pour autant jeter la pierre sur qui que ce soit. D'emblée neutre, du fait de sa double culture, l'auteur de Léon l'Africain, se veut objectif autant que faire se peut, en se référant aux deux blocs auxquels il appartient d'une part, mais tout en soulignant les point forts et faibles d'autre part. Aussi, ce dérèglement du monde serait né des «décombres de la guerre froide», suivis des déchirements des deux arbitres autour desquels gravite notre essayiste libanais. «Ce que je reproche au monde arabe, c'est l'indigence de sa conscience morale» et à l'Occident, «c'est sa proportion à transformer sa conscience morale en instrument de domination», dit-il. Deux affirmations dont Amin Maalouf reconnaît volontiers comme douloureuses, mais qu'il ne peut passer sous silence dans un livre qui prétend s'attaquer aux origines de la régression. Aussi, évoquant les «victoires trompeuses», en Occident, il citera à titre d' exemple le «traumatisme irakien de l'Amérique» et son corollaire l'atomisation des religions et des communautés chrétienne et juive et leur marginalisation grandissante aujourd'hui. «S'il y a en ce début de siècle, une lancinante question d'Orient qui ne semble toujours pas en voie de se résoudre, il y a aussi, indéniablement une question d'Occident et si la tragédie des Arabes c'est d'avoir perdu leur place parmi les nations et de se sentir incapables de la retrouver, la tragédie des Occidentaux, c'est d'avoir accédé à un rôle planétaire démesuré qu'ils ne peuvent plus assumer pleinement, mais dont ils ne peuvent non plus se dépêtrer», indique-t-il. Aussi, la fin de la guerre froide a vu se dérégler le monde aussi sur le plan économique en changeant de sa trajectoire avec le décollage, dans ce domaine, de la Chine puis de l'Inde, d'un côté, et l'affaiblissement de l'Occident,de l'autre. Sans parler de la crise qui achèvera de dérégler le monde dernièrement de façon plus accrue et irréfutable. Cet affaiblissement économique relatif de l'Occident conduira, selon Amin Malouf, à des conséquences paradoxales compensatoires par les armes, a fortiori en Irak, au Kosovo, en Afghanistan etc. Aussi, l'économie mondiale ne cessera de décliner et de s'endetter, affirme-t-il. Evoquant les valeurs universelles que prétend détenir le monde occidental telles la liberté, la légalité, la démocratie, celles-ci sont pourtant inconcevables et souvent réprimées dans les pays «indigènes» et colonisés. S'il appartient à la civilisation de l'Occident, Amine estime «quiconque décèlerait dans ses propos, la colère d'un minoritaire d'Orient, ne se tromperait qu'à moitié». Il en dénoncera la «purification» ethnique et religieuse de plus en plus massive qui domine paradoxalement le monde et qui fait fausse route, selon lui, mettant ainsi au rabais la diversité humaine. «Lorsque prévalent les crispations identitaires comme c'est aujourd'hui le cas dans la grande majorité des pays, au nord de la planète comme au Sud, lorsqu'il devient chaque jour un peu plus difficile d'être sereinement soi-même, de pratiquer librement sa langue ou sa foi, comment ne pas parler de régression?», se demande-t-il à la page 62. Amin Maalouf qualifie de «barbare» aussi la régression morale de notre époque mettant au pilori la notion de tolérance dans le monde arabe, notamment y compris en Occident, avec l'avènement de nouveaux comportements, dus aux perturbations climatiques, aux turbulences économiques, qui résultent d'une longue pratique de l'irresponsabilité. Autre dérèglement patent est celui qui relève du monde politique, inscrit avec «les» Bush, délégitimés par leur peuple. Aussi, la gestion politique des affaires de la planète se trouve chambardée et le sens des valeurs aussi. Autre cause qu'a tenu à souligner Amin Maalouf dans cet essai fort pertinent, est l'éternel conflit entre l'Arabe et le juif. Par ailleurs, Amin Maalouf parle de plusieurs civilisations qui s'interpénètrent et de la civilisation humaine qui continue et continuera à subir des sursauts s'il l'on consent à respecter les spécifiés culturelles d'autrui, ce qui fait l'identité de chacun, au-delà de toute différence ethnique ou religieuse. Une égalité prônée qui remettra le monde peut-être en place. Aussi, pour Amin Maalouf, le dérèglement du monde tient moins à «une guerre des civilisations» qu'à l'épuisement simultané de toutes nos civilisations, et notamment des deux ensembles culturels dont il se réclame lui-même, à savoir l'Occident et le monde arabe. Le premier peu fidèle à ses propres valeurs, le second enfermé dans une impasse historique. Et invité peut-être à s'ouvrir un peu plus. Pourquoi pas? Essai à lire d'un trait, ce nouvel ouvrage s'inscrit dans la lignée de son essai Les identités meurtrières, publié en 1998 et qui est aujourd'hui au programme de nombreuses universités à travers le monde. Au prix de 800 DA, Le dérèglement du monde a été édité en Algérie aux éditions Sédia.