Le 21 août 1993, il devait rencontrer un ami dans une villa aux environs d'Alger-Plage. Il fait chaud à El-Alia. Le cimetière situé à l'est d'Alger renferme toute l'Algérie officielle éteinte, de l'Emir Abdelkader et Boumediene à ce mystérieux officier mort «en service commandé en 1972». Au carré des martyrs, un groupe d'hommes et de femmes entoure une tombe. «Ici repose Kasdi Merbah sauvagement assassiné le 21 août 1993», est-il inscrit sur la pierre tombale. Les couleurs vives des robes kabyles des femmes venues de son village natal contrastent avec le marbre funèbre. La famille est là, ainsi que de vieux amis. Daho Ould Kablia, ministre délégué aux Collectivités locales et ancien du MALG, ministère de l'Armement et des Liaisons générales durant la Guerre de libération et ancêtre de la SM, est venu représenter le gouvernement. Il est le seul officiel présent. L'homme qui possédait tous les dossiers noirs de l'Algérie fait-il encore peur? L'APS, l'agence officielle, a passé sous silence la présence de Ould Kablia. Pourtant, la dernière promotion d'officiers de police a été baptisée, fin juin, au nom de Kasdi Merbah. Et comme si l'Histoire voulait prouver qu'elle n'opte jamais pour le hasard, Daho Ould Kablia a offert, avant-hier, au musée de la police, un document historique concernant un programme de formation militaire de 70 officiers de l'Armée de libération nationale s'étalant du 1er juillet au 31 décembre 1957. 27 de ces stagiaires ont été répartis à travers le pays pour renforcer les rangs de la révolution dans la Wilaya V. Le tiers a rejoint le secrétariat de wilaya pour constituer le service de renseignements. Parmi eux, un certain Kasdi Merbah. Il y a 9 ans, l'ancien Chef du gouvernement de 1988 à 1990 et ex-patron de la Sécurité militaire sous Boumediene, est assassiné avec son frère et son fils à Alger-Plage, bourgade côtière à l'est de la capitale. Les services de sécurité et les médias imputeront cette opération commando à l'un des frères Hattab, Mouloud. Ce dernier, ainsi que toute sa famille ont été retrouvés morts au fond d'un puits quelques mois plus tard. En cette période, l'homme était à la tête du parti MAJD. Ce 21 août 1993, Kasdi Merbah devait rencontrer un ami dans une villa des environs d'Alger-Plage. Il venait de rentrer de Suisse où il aurait rencontré Aït Ahmed et des membres du FIS dissous ainsi que des représentants de la guérilla islamiste. L'ancien chef des services secrets algériens était-il en train de «négocier» une issue à la crise ? Mme Merbah a déclaré le lendemain de l'assassinat de son mari qu'«il était sur le point de finaliser un accord de paix définitif qui aurait mis fin au terrorisme...». Selon des témoignages de l'époque, Merbah portait sur lui une valise rouge, une sorte de porte-documents. Elle ne sera jamais retrouvée. L'un des officiers des forces spéciales de l'ANP, appelés ce jour-là pour boucler le secteur d'Alger-Plage après l'assassinat, a estimé que «l'opération a été exécutée par des professionnels». Hier, sur la gerbe de fleurs déposée sur la tombe de l'ex-chef de la sécurité militaire on pouvait lire ces mots: «...par fidélité...». Kasdi Merbah est mort, mais ses secrets restent vivants parmi nous. Pour encore longtemps?