Dans cet entretien, la cinéaste et auteure, Malika Laïchour Romane, revient sur son documentaire historique, mais aussi sur ces nombreux projets cinématographiques en cours... L'Expression: Dans Khawa, il s'agit des réseaux d'aide européens à la Révolution algérienne. Avez-vous eu l'impression, en réalisant ce documentaire, que vous donnez à découvrir une partie de l'histoire de la guerre de Libération qui est presque occultée en Algérie? Malika Laïchour Romane: C'est ce que disait d'ailleurs, Ali Haroun: il ne faut pas faire dans l'autoglorification. La révolution ne s'est pas faite intra-muros, c'est faux! Même si cette guerre s'est faite par des Algériens en Algérie et ailleurs, une aide solidaire politique extérieure a été nécessaire. C'est ce que montre bien ce documentaire. La guerre se déroulait en Algérie, mais la crise politique a été exportée à l'extérieur. Les Algériens ont eu justement l'intelligence de ne pas exporter les attentats meurtriers, mais ils ont réussi à exporter la crise sur la scène politique internationale. Ils ont compris qu'ils ne pouvaient gagner que politiquement. Je pense qu'il y a de nombreux pans de notre histoire qui ne sont pas connus. Et c'est pour rendre hommage à ces gens qui nous ont aidés, pas au nom de l'Algérie peut-être, mais au nom des valeurs humaines qu'ils avaient. Ils étaient près, comme Jeanson, à faire cela pour d'autres pays opprimés. Nous aussi nous devons nous mobiliser pour aider les pays tyrannisés. Non parce qu'ils seraient arabes, musulmans ou européens, mais simplement parce qu'ils souffrent d'injustice. Ce film documentaire étant sorti en 2005, comment le public a-t-il réagi? Très bien! Ce qui m'a fait vraiment plaisir, c'est que de nombreuses personnes, faisant partie de l'ancienne génération, n'avaient pas connaissance de ces réseaux de soutien allemand et belge. Ils connaissaient bien principalement le réseau Jeanson, Curielle. Pour eux, le rôle qu'ont joué les Allemands, les Belges, les femmes, et même nos Algériens à l'extérieur n'était pas connu. Je suis heureuse que ce documentaire soit un film humaniste, qui appelle à la paix, c'était une très belle aventure humaine. Je pense que la solidarité humaine est la seule chose qui pourra sauver le monde. Vous avez travaillé sur le documentaire pendant plus d'une année. Qu'est-ce qui vous a le plus marqué au cours de vos recherches? C'est le nombre de personnes qui faisaient partie de ces réseaux. J'étais triste car je ne pouvais pas les avoir tous. Je savais d'abord que j'allais être injuste envers ces personnes, puisqu'il fallait faire un choix, j'étais obligée de couper. Au début, j'ai porté mon attention vers les Allemands parce qu'ils sont totalement méconnus et puis, le documentaire a été commandé par le centre Friedrich Ebert. Par la suite, j'ai sollicité certains porteurs de valise français de renom. Jeanson était, par exemple, incontournable. Toutefois, autour de Jeanson, il y a des centaines de personnes, et même des Algériens. On a vu dans votre documentaire, des réseaux existaient un peu partout en Europe. Comment avez-vous pu joindre les membres de ces réseaux? Avec des assistants dans chaque pays. Ils ont fait des recherches. Mais les recherches nous les avons entamé, d'abord, en Algérie. Par la suite, j'ai eu, moi aussi, mes ambassadeurs. Je les ai envoyés pour voir les gens, s'ils sont en bonne santé, s'ils accepteraient de témoigner. Ça n'a pas été facile, les gens veulent oublier. Il fallait vraiment les convaincre et leur expliquer qu'il s'agit d'un travail profond: j'avais consacré une année et demie pour le réaliser et puis, ils vous donnent tous leur témoignage. Tout ce que je n'ai pas pu mettre dans le film, je l'ai conservé. Ce sont de très importantes archives. Comment avez-vous fait pour le financement? Je l'ai produit. En fait, ça a commencé avec une commande et donc j'ai bénéficié d'une aide moyenne: le film parlait principalement des réseaux de soutien allemands. La seule partie allemande m'a coûté, à elle seule, 9000 euros. Pour qu'elle soit parfaite, j'ai fait appel à une très grande société qui travaille pour Cannes. Mais pour moi, c'est presque militant. Je suis très heureuse de l'avoir produit. C'est un film qui m'appartient. Il est vrai que j'avais espéré avoir un peu d'aide de certaines institutions, peut-être que je n'ai pas fait les bonnes démarches. Mais je n'ai aucun regret, au contraire, j'ai plutôt un sentiment de jouissance. Est-ce que ce film ne vous a pas donné l'envie de réaliser d'autres documentaires historiques? Non, pas pour l'instant. Je suis chercheuse comme je vous l'ai déjà précisé. J'essaie de travailler sur la constitution d'un corpus d'images pour l'Algérie. Les futurs cinéastes qui auront à travailler sur l'Histoire de l'Algérie, n'auront pas à acheter ces images. Nous avons une très belle Révolution, mais ce sont les autres qui ont filmé notre guerre. L'idée justement est d'essayer de trouver des passerelles avec tous les pays pour avoir des échanges et, de ce fait, rapatrier en Algérie, la magnifique histoire de cette Révolution algérienne en images. Mais faire des films documentaires qui s'inscrivent dans ce registre, je pense que non. J'ai d'autres ambitions: faire du cinéma... Justement, vous avez été diplômée au début des années 1990, mais vous avez attendu longtemps pour faire du cinéma? C'est l'Algérie qui m'a retardée (rire). Je suis rentrée au pays pour faire du cinéma mais je n'ai pu faire que des images de reporter, c'était les années du terrorisme. Mais tout ce qu'on a vécu et ce qu'on est en train de vivre, on le retrouvera dans le cinéma. J'ai partagé un moment exceptionnel de l'Histoire de mon pays et bien sûr, mon cinéma n'en sera que meilleur. Nous avons entendu dire que vous étiez en train de préparer un documentaire sur Guermaz, où en êtes-vous? Oui effectivement, j'ai été sollicitée par Hamid Skif. L'idée de faire un portrait ne m'intéressait pas. Donc, pour vous dire deux mots là-dessus, je vais filmer un poète algérien, Hamid Skif, qui est en exil, à la recherche d'un peintre qui n'existe presque pas dans la mémoire algérienne. Ça sera une quête. Cela nous permettra d'aborder d'autres questions: l'exil, le phénomène des harraga, la douleur d'être loin de chez soi. On parlera aussi de la culture qu'on produit en exil. Enfin, c'est une occasion de parler de tout ce que l'Algérie a «pondu». Bien évidemment, il s'agit de parler aussi et avant tout de Guermaz, de sa peinture, mais il ne sera plus question de ce cheminement. C'est une petite enquête qu'on va mener. Et qu'en est-il du documentaire sur Albert Camus? Je suis le producteur exécutif de ce documentaire. Le réalisateur est un garçon des Baléares, Luis Ortès Pao. Il sera diffusé au mois d'octobre. C'était une aventure sublime. Ça s'appelle Albert camus, Méditerranée ou l'amour de vivre. Nous avons fait toute la recherche documentaire pour l'Algérie. En plongeant dans Camus, j'ai découvert un pan de l'histoire de l'immigration algérienne absolument sublime. Il va faire l'objet d'une exposition en octobre prochain. Vous avez certainement entendu parler de la pétition qui circule, ces derniers temps, pour protester contre la célébration du cinquantenaire d'Albert Camus en Algérie, qu'en pensez-vous? Je trouve ridicule toute pétition qui empêche le débat! Le fait que j'ai produit un film sur Camus ne veut pas dire que j'apprécie tout chez lui. La démarche d'un artiste, d'un intellectuel est de dire justement: je n'apprécie pas ceci, mais je préparerai quelque chose sur cela. L'université d'Alger avait préparé, en 2006, un colloque exceptionnel sur Camus. Cet écrivain nous appartient, jusqu'à quel point? Cela dépend de chacun. Il s'agit de revoir Camus et dire clairement s'il y a des choses qui nous dérangent. Mais faire une pétition... d'ailleurs, très peu de gens l'ont signée; je suis contre. Je suis contre tout ce qui peut faire barrage au débat et à des éclairages nouveaux, quitte à ce que ce soit contre Camus. Je trouve aussi que c'est dommageable chez nous, à l'heure où c'est extrêmement difficile, de trouver des sphères de débat. Pour moi, il ne faut pas aimer Camus pour le célébrer, on peut le détester et encore une fois, il faut pouvoir le célébrer.