«Plus rien n'arrêtera le processus démocratique et surtout pas nous, les religieux.» «Nous sommes chiites», clament les nombreuses bannières sur fond rouge qui claquent au vent à l'entrée de Nadjaf. A 150 km au sud de Baghdad, la Ville sainte des chiites est sous haute sécurité. Irakiens, Iraniens et Pakistanais affluent en famille vers le mausolée de l'imam Ali, sans un regard sur les affiches électorales qui tapissent les grandes artères: «L'Irak pour tous» «Votez pour la paix». Ici, l'enjeu des législatives du 7 mars prochain n'est pas de nature à troubler la sérénité des lieux. Sur les 6100 candidats, 325 siègeront au parlement et éliront par la suite le nouveau Premier ministre. Depuis la chute de Saddam Hussein, Nadjaf ne désemplit pas. «Nous vivons bien mieux que dans le reste du pays, confie Ibrahim El Djabouri, commerçant dans le quartier de Joumla, mais nous ne sommes pas à l'abri d'un nouvel attentat.» Si la sécurité est l'enjeu de la campagne électorale, les sondages avançaient un taux de participation très faible au prochain scrutin. Il aura fallu tout le poids de la hawza, le clergé chiite, pour inciter des Irakiens désabusés par tant de violence, à participer au scrutin. «En 2003, le peuple était sous terre, assommé par des décennies de dictature. Avec le temps, la maturité s'installe, les Irakiens apprennent à mieux se connaître.» L'homme qui s'exprime est Ahmed El Safi, le représentant de l'ayatollah Sistani, le chef spirituel des chiites irakiens. Turban et tunique noirs, Ahmed El Safi ne nie pas les tensions entre les communautés. «Notre pays ne se résume pas aux extrémistes. Plus rien n'arrêtera le processus démocratique et surtout pas nous, les religieux.» La patience des Irakiens Si la démocratie attendra encore un peu, le retour de l'autorité est salué par les Irakiens. Il n'y a qu'à voir cette patience dont font preuve les habitants de Baghdad, contraints d'attendre des heures aux barrages. Parfois, les automobilistes s'extirpent sans rechigner de leur véhicule sans âge pour une fouille corporelle. «C'est le prix à payer pour la sécurité, explique placidement ce chauffeur de taxi, mais au moins maintenant, les contrôles se font par mes compatriotes.» Fusil d'assaut américain M16 en bandoulière, gilets pare-balles et uniformes de combat flambant neufs, les forces de sécurité irakiennes quadrillent Baghdad. Les troupes américaines sont désormais cantonnées dans leurs casernes, en attendant leur retrait définitif en 2011. L'avenue Rashid, jadis les Champs-Elysées de la capitale, porte encore les stigmates des violents affrontements des années 2005 et 2006. Une moyenne de 15 attentats par semaine pour moins d'un par mois actuellement. Dans ce quartier chic, les commerces n'ont toujours pas rouvert, et les rares magasins en activité baissent leur rideau bien avant la tombée de la nuit. Baghdad est toujours en état de siège. Pourtant, certains font de la résistance, comme ces familles qui viennent dès le crépuscule se délasser dans le parc Abou Nawas. «Nous aspirons à vivre en paix, explique Anouar, élève en génie mécanique. Je voterai pour le Premier ministre sortant, Nouri Maliki, car il a accompli un travail admirable en ramenant une certaine stabilité. Dans mon entourage, certains voteront pour des personnalités laïques, d'autres pour des religieux. Mais tous porteront leur choix en fonction de leur confession.» Un constat, l'identité nationale est à réinventer en Irak. «Du temps de Saddam, les opposants étaient considérés comme des traîtres à la patrie, explique M'Hamed Assadi, politologue irakien. Après sa chute, les ingérences extérieures ont parasité notre identité nationale. Aujourd'hui, il importe d'adhérer à une nouvelle citoyenneté et de replacer le religieux dans la sphère de l'identité individuelle.» Dérive autoritaire Il reste à savoir si les partis religieux joueront le jeu. Ammar El Hakim est à la tête du Conseil national islamique, (CSI), le principal parti chiite (65% de la population). Petit-fils d'un ayatollah, il est également président de la fondation éponyme, première institution privée, impliquée notamment dans le domaine caritatif et les droits de l'homme. Sa famille prestigieuse a donné 64 martyrs pour libérer l'Irak. Lui-même a échappé à 15 attentats. A 40 ans, il incarne une vision tolérante et moderniste de l'Islam. «Nous sommes en faveur d'un Etat respectueux des lois. Quelle que soit l'appartenance religieuse ou politique, l'égalité des chances doit être respectée.» L'homme est un fin diplomate. Alors que ses proches dénoncent la dérive autoritaire du Premier ministre Nouri El Maliki, qui a formé sa propre alliance il y a quatre mois, forçant ses alliés chiites à former une nouvelle coalition. Ammar El Hakim préfère botter en touche: «Pour gagner ces législatives, il faut mettre en avant les points forts de notre programme et non la faiblesse de nos rivaux.» Un constat: le climat électoral est surtout marqué par des accusations d'ingérence étrangère. Les sunnites reprochent aux chiites d'être soutenus par l'Iran, ces derniers pointent le doigt sur la Syrie, la Jordanie et l'Arabie Saoudite, accusées d'être derrière tous les attentats. L'Irak est également confronté à des problèmes de trésorerie. 90% du budget de l'Etat est alloué aux salaires des fonctionnaires, le reste sert au financement des projets. Près de 40% de la population active est au chômage. «Il n'y a pas seulement l'argent qui fait défaut, mais aussi les compétences. Les meilleurs cerveaux ont fui à l'étranger depuis belle lurette, confirme Alani Hicham, consultant auprès du ministère du Plan. Nous envoyons régulièrement des techniciens se former en Europe.» Ce sunnite est lui-même candidat sur la liste du Parti national arabe, tendance socialiste, qui défend la coalition du Premier ministre chiite, Nouri El Maliki. Ses raisons: «Il cherche vraiment à consolider l'Etat de droit. Et veut en finir avec l'influence des religieux.»