Rencontré à l'occasion de l'hommage rendu à Boudjemaâ El Ankis à Tizi Ouzou, le célèbre et talentueux artiste Abdelmadjid Meskoud nous a accordé cet entretien. Il y parle des maîtres du chaâbi, de son parcours, de son ami, le regretté Matoub Lounès. L'Expression: Vous venez d'assister à un hommage à l'une des plus grandes figures du chaâbi algérien, Boudjemaâ El Ankis, qu'avez-vous à dire sur cette référence? Abdelmadjid Meskoud: Boudjemaâ El Ankis est notre maître, c'est le maître de tout le chaâbi. Il est le doyen des chanteurs chaâbis actuellement. Il est né en 1927. L'hommage qu'on vient de lui rendre est bien mais c'est peu. Il y a mieux. On n'organise pas une seule soirée à Boudjemaâ El Ankis, on en devrait lui organiser plusieurs. Il mérite beaucoup plus: des expositions, des conférences et tout ce qui va avec. C'est l'un des piliers de la chanson algérienne. On pouvait faire plus et mieux, compte tenu de l'importance de cette personnalité. Avez-vous côtoyé Boudjemaâ El Ankis personnellement? Oui, je l'ai connu et il m'estime bien. Je ne l'ai pas très bien approché, certes, parce que je ne suis pas de sa génération. Mais j'ai partagé des moments avec lui. C'est un artiste qui a fait ses preuves en arabe et en kabyle, bien sûr. Il est sensible et généreux. Quand on était jeune, et qu'on le sollicitait pour un poème, il n'hésitait pas à nous aider. Ce n'est pas un radin. Que Dieu lui prête longue vie. Revenons à vous, pouvez-vous faire un bref bilan de votre carrière? Si on n'avait pas appris de Boudjemaâ El Ankis, d'El Hadj El Anka, de Cheïkh El Hasnaoui, on n'aurait pas pu avancer. On a appris et on a encore des tas de choses à assimiler dans le domaine de la chanson chaâbie. Personnellement, je sens que j'ai encore beaucoup à apprendre. Ce que je connais représente peut-être une goutte d'eau dans l'océan Pacifique. El Assi-ma est votre chanson mythique. Sortie à la fin des années quatre-vingt, c'est grâce à elle que vous êtes sorti définitivement de l'anonymat. Que symbolise pour vous cette chanson? C'est vrai que cette chanson est symbolique pour moi. Dans ce titre, j'ai chanté tout haut ce que les gens pensaient tout bas. C'est grâce à cette chanson que je suis devenu célèbre. Je lui saurai gré toute ma vie. Quand vous étiez en train de l'écrire et de la composer, aviez-vous songé qu'elle allait obtenir un tel retentissement? Franchement, non. Personne ne peut préparer le succès. Aucun artiste ne peut prédire que son prochain produit sera un succès. On ne peut pas savoir d'où viendra un succès. Je vous donne un exemple: Kaci Tizi Ouzou a fait un énorme succès avec une cassette où il n'y avait vraiment pas grand-chose. Mais à sa sortie, l'album avait fait un tabac. C'est le secret de l'art. Avez-vous connu de grands artistes de la région et qui vous ont marqué? J'ai connu Matoub Lounès. Il était un peu plus jeune que moi. Je l'ai connu depuis que nous étions amateurs. Chacun avait fait son petit bout de chemin. Matoub était un fellaga. C'est un vrai artiste, on ne peut pas nier une évidence. C'est quelqu'un qui savait écouter le chaâbi, Dahmane El Harrachi, El Anka, El Hasnaoui. J'ai veillé plusieurs fois avec lui. J'ai beaucoup de souvenirs avec lui, ici-même en Kabylie, à Alger et en France. Matoub Lounès était une personnalité. C'était un homme des montagnes. Il a été tout le temps courageux. Il n'était pas comme nous, on a été moins courageux que lui. En disant de lui que c'était un fellaga, je crois que je résume bien ce qu'il fut. Avez-vous des projets de tournée? Il y a des projets. Ce n'est pas ce qui manque. Mais pour se produire là où nous sommes absents, il faudrait que nous soyons invités. Ceci dit, nous sommes contactés souvent pour des spectacles. Nous n'arrêtons pas de travailler. C'est vrai que nous sommes absents de la télévision. Mais ça, c‘est une autre paire de manches. Une dernière question: que représente le chaâbi pour vous? Le chaâbi, c'est nous. C'est l'Algérien. Il constitue notre langage, notre expression, qu'il soit en kabyle ou en arabe. A l'époque où le chaâbi était un modèle dans la société, la rue éduquait. Depuis que le chaâbi a été écarté, vous voyez le résultat chez les jeunes. Le chaâbi est une école qui éduque.