Quoi de plus intéressant que la publication d'un livre à l'occasion de l'anniversaire d'un événement historique ayant marqué toute une génération mais aussi le cours de l'histoire d'un pays? C'est sans doute un pur hasard si le livre de Mohammed Brahim Salhi est édité ces jours-ci. Mais le hasard fait bien les choses. Le livre est intitulé Algérie, citoyenneté et identité. D'aucuns s'interrogeront pourquoi l'auteur a préféré se référer à l'Algérie au lieu de la Kabylie puisqu'il s'agit d'abord et avant tout d'événements s'étant déroulés en Kabylie. La réponse est toute simple. L'analyse de l'auteur est loin d'être superficielle. Dans cet ouvrage précieux, il est aussi question d'histoire mais il n'est pas seulement question du Printemps berbère. Le livre s'ouvre sur l'appropriation de l'héritage républicain et jacobin à travers les courants politiques algériens de la 1ère moitié du XXe siècle et un survol de l'identité-citoyenneté: du pacte social aux contestations identitaires et politiques. Dans le chapitre réservé au Printemps berbère de 1980, l'auteur a eu l'idée de recueillir les témoignages de deux acteurs qui ont été peu prolixes jusque-là sur ces événements. Il s'agit de Saïd Khellil et Mohand Ouamar Oussalem. Sur soixante-dix pages, ces deux témoins de ces événements apportent des tas d'informations dont certaines sont livrées pour la première fois publiquement. Ce qui est intéressant dans ce chapitre, ce sont donc les détails tus jusque-là pour des raisons méconnues. Par exemple, on y trouve des informations sur la manière avec laquelle l'Etat avait géré ces événements pour contrer la révolte populaire ayant fait suite à l'interdiction d'une conférence sur la poésie kabyle que devait donner Mouloud Mammeri à l'université. Cette interdiction n'était que la goutte qui avait fait déborder le vase. Le vrai problème et non des moindres, était l'exclusion injuste et injustifiée de la langue et culture amazighes par l'Etat. Le brillant universitaire Mohammed Brahim Salhi est aussi un excellent interviewer. On le constate aisément au vu de la pertinence des questions posées aux deux témoins. Le livre Algérie, citoyenneté et identité ne se limite pas aux événements du Printemps berbère mais il aborde aussi les événements de 2001, en Kabylie. On assiste ici à un nouveau regard porté sur cette autre page de l'histoire récente de la Kabylie. Pour la première fois, l'approche n'est ni journalistique ni politique mais plutôt scientifique. L'auteur détient le recul nécessaire et la méthodologie scientifique qu'il faut pour parler de ces événements sans passion mais sans complaisance. Il s'agit plus d'une analyse sociologique qui permet au lecteur d'appréhender autrement toute la série d'événements dramatiques qui ont eu lieu au début des années 2000 ainsi que la désillusion qui en a succédé. L'exploration de Mohammed Brahim Salhi aborde d'autres questions déterminantes inhérentes au thème de la citoyenneté et de l'identité comme dans le chapitre VI où il parle de «femmes et citoyenneté: entre pesanteurs sociales et manichéisme politique». L'auteur a choisi d'évoquer ce sujet sensible en trois parties. D'abord, avant la guerre de Libération où il considère que la femme était socialement recluse et politiquement invisible. Puis, «être femme dans la guerre, prise de visibilité et avancée relative dans la construction de la citoyenneté» et enfin, «les Algériennes et le pacte social». Le livre de Mohammed Brahim Salhi est riche d'autres aspects de la problématique passée au crible comme l'islamisme et l'organisation de la société civile. Algérie, citoyenneté et identité est loin d'être un livre de plus sur un sujet dont les médias se sont intéressés à leur manière depuis des années. C'est un ouvrage académique, très bien structuré et dénué de redondance. Sa lecture nous permet d'avoir une nouvelle vision des sujets que l'auteur aborde, de même qu'il nous offre l'opportunité de marquer des haltes sur des événements restés de façon indélébile dans les mémoires mais jusqu'à présent non élucidés. Mohammed Brahim Salhi est né en 1952 à Tizi Ouzou. Il a effectué des études politiques à l'université d'Alger jusqu'en 1975 puis un cursus de 3e cycle en sociologie-ethnologie à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (Paris). La question des identités religieuses en Algérie a fait l'objet d'une thèse de doctorat de 3e cycle (1979), prolongée par une recherche plus ample sur la même question articulée aux changements qui affectent l'Algérie à la fin du XXe siècle, qui aboutit à une thèse de doctorat d'Etat ès Lettres et sciences humaines (université de la Sorbonne-Nouvelle, Paris III, 2004). Depuis 1979, il entame une carrière d'enseignant-chercheur en sociologie et anthropologie à l'université de Tizi Ouzou et collabore avec le Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (Oran). Actuellement, Mohammed Brahim Salhi est maître de conférences.