Voir des films en plein air, enfant, Jamel Azizi en a gardé des souvenirs intacts. Cela l'a marqué pour toujours. Convoquer ce passé et le revendiquer était donc une évidence. La salle El Mougar a abrité dimanche denier, en avant-première, le film de Jamal Aziz intitulé Le Dernier Safar. Jeu de mots entre voyage en arabe et safari..U road movie portant sur les péripéties d'un vieux projectionniste sur les routes en vue de transmettre du rêve en bobines aux Algériens qui se trouvaient dans les coins les plus reculés du pays. Amou Salah, alias Mourad Khiati, est un vieux projectionniste qui a fait ses armes dans une salle de cinéma à Alger. On reconnaît là les coulisses de la Cinémathèque algérienne. Incursion dans un monde magique qui, s'il pouvait parler, nous narrera des histoires du 7e art en Algérie. Poussé à la retraite, il refuse de rester sans activité. Il décide de sillonner l'Algérie pour projeter des films en plein air. Malgré l'âge et la maladie, cet homme n'abdique pas face à la fatalité et fait, de son amour pour le cinéma, son sacerdoce. Mi-docu mi-fiction, le film nous immerge de plain-pied dans l'Algérie profonde avec ses petites gens. Des images qui nous rappellent indubitablement le film Mascarades de Lyès Salem. Jamel Azizi a ainsi filmé tour à tour à Bouira, Sétif, El Oued, Biskra, Mila, Constantine, El Bayadh, Tebessa, Touggourt et d'autres régions du Sud pour restituer cette humanité prise sur le vif, cette Algérie oubliée, celle des maisons de la culture vides et abandonnées, des salles de cinéma inexistantes où l'homme semble n'être que l'ombre de lui-même. Avec juste trois ou quatre comédiens, Jamel Azizi qui a réalisé son film à compte d'auteur sans l'aide du ministère de la Culture a pris le parti de filmer des vraies personnes au coeur de leur quotidien oisif et monotone avec comme plateau, des décors naturels, que ce soit au marché ou au café où se réunissent vieux et jeunes en manque d'«action» et de divertissement. Un mot insensé qui sonne plutôt comme un gros mot dans ces bourgades reculées. En plus du cinéma, Ami Moussa voue un amour sans bornes pour le chaâbi, il en donne pour démonstration dans le film quelques morceaux chantés en a capela, notamment El Manfi, sans doute pour ne pas sombrer dans la folie. Lui-même développe à la longue un sentiment d'exil à l'intérieur de son pays, un ressentiment vite dissipé grâce à sa satisfaction de voir des gens venir voir ses films et les apprécier comme ce vieux monsieur qui n'a pas vu un film sur grand écran depuis des années, du temps de Boubegra. Un monsieur qui ne manque pas de fantaisie puisqu'il se plaît sous l'oeil de la caméra à imiter son idole, Boubegra. Des films projetés et choisis par l'auteur du film, on relèvera notamment l'Opium e le bâton d'Ahmed Rachedi, La Montagne de Baya de Azzedine Meddour, des films cultes du cinéma algérien qui relèvent désormais de notre patrimoine et dont notre projectionniste réfute le déclin. Hélas, son déclin à lui sonne à la porte inéluctablement. Tapi en silence comme dans une prison. Beaucoup de silence accompagne ce film qui tient plus du documentaire dans le traitement du sujet sauf que les séquences, elles, sont refaites et étudiées en fonction de la demande du réalisateur. A mi-chemin entre le réel et la fiction, ce film peut dérouter plus d'un et nous laisser donc perplexes. Le film est tout de même rehaussé par quelques beaux plans qui donnent à réfléchir sur le rôle du cinéma, notamment cette image comprenant dans son cadre à la fois deux paraboles jouxtant le grand écran plaqué sur le mur...Une métaphore sur le combat de ce projectionniste qui fait tout pour inoculer l'amour du cinéma aux spectateurs, à la place de l‘obsédante télévision. Mais l'espoir du renouveau et de la passation du flambeau ne sont pas trop permis, et le film se termine sur un vague sentiment de solitude et d'isolement pour ce vieux via ces barreaux que l'on devine au loin, dont ceux du zoo que le vieux finit par visiter en fin de parcours. Optimiste ou pessimiste? L'avis du réalisateur Jamal Azizi est tranché. «En Algérie on ne produit pas de films. J'ai dù finir mon long métrage et faire la postproduction en France et en Belgique en dépensant de ma poche l'équivalent de cinquante mille euros. On ne sait où va l'argent en Algérie. J'ai fait mon film avec des bouts de ficelles. C'est un cri d'alarme pour dire comment un auteur algérien n'est pas aidé par l'Etat. On est limité. C'est du maccarthysme. C'est pourquoi j'ai fait un film militant.» Le Dernier Safar, d'une heure-vingt minutes est produit par Youks production. Jamel Azizi compte aussi à son actif plusieurs courts métrages dont La Colombe, Message d'Alger et Le Blouson vert. Aussi deux documentaires, Les Transporteurs de bonheur et Transporteur de rêves. Enfin, Le Dernier Safar est son deuxième long métrage après Prophète en son pays. En attendant que Le Dernier Safar sorte dans les salles algériennes, il est à noter qu'il est programmé le 20 avril prochain au Centre culturel algérien, à Paris. Il sera en outre projeté dans une section spéciale liée à une thématique autour des cinémas du monde au prochain Festival de Cannes.