Le Dernier safar est un carnet de voyage saisissant de Djamel Azizi, qui propose, dans un pays privé pendant longtemps d'images, de “visionner” son passé pour mieux se projeter dans l'avenir. La salle El Mouggar a abrité avant-hier soir la projection du documentaire de quatre-vingt minutes le Dernier safar, de Djamel Azizi. Ses premières scènes installent dans le lieu (Algérie) et l'époque (de nos jours), et présentent le personnage principal qui va accompagner les spectateurs durant ce documentaire : ammi Salah, un vieux projectionniste dans une salle de cinéma à Alger, poussé à la retraite. Mais comme son métier est une véritable passion pour lui, il décide de ne pas céder, de ne pas laisser tomber. Malgré l'âge et la maladie, il entame un périple. À bord de son camion, il parcourt les routes et les kilomètres, et organise des projections à ciel ouvert. Ammi Salah souhaite donner du rêve, et quoi de mieux que le cinéma pour générer le rêve et élargir le champ des possibilités. Passionné de chaâbi et de cinéma, ammi Salah va dans les villages les plus démunis de l'Algérie pour leur proposer une nouvelle manière de concevoir le monde ; il leur apprend, sans le savoir, qu'ils ont le droit d'aspirer à une vie meilleure, qu'ils ne sont pas seuls dans leurs malheurs et que même si l'on souffre le martyre, il y a toujours quelqu'un qui souffre encore plus. Le Dernier safar est à la fois une leçon de courage, de résistance et de rêves. Car, même si l'on prend de l'âge, nos rêves d'enfant ne prennent pas une ride. À son âge, ammi Salah rêve, souhaite et espère que la génération qui monte actuellement puisse croire en l'impossible et aller au bout de sa destinée. Lui, il accepte son rôle de passeur, d'intermédiaire, de rêveur inconsolable. Dans sa quête utopique d'un semblant de vie dans un pays où le bonheur a déserté, pendant longtemps, les maisons, le projectionniste rencontre des gens singuliers, des modes de vie rudes et une réalité pénible, notamment lorsqu'un jeune chômeur de la wilaya d'El-Oued demande à ammi Salah “qu'est ce que le cinéma ?” De Bouira à Médéa, en passant par Constantine et El-Oued, ammi Salah, que rien n'arrête, même pas son état de santé qui se dégrade, projette des films-cultes qui ont marqué le cinéma algérien et le cinéma mondial, notamment l'Opium et le bâton, d'Ahmed Rachedi, Béni Hindel, de Lamine Merbah, la Montagne de Baya, d'Azzedine Meddour, l'Homme tranquille, de John Ford, Etat de siège, de Costa Gavras, ou encore Al Haram, de Khaled Barakat. À l'issue de chaque projection, ammi Salah prend le temps de discuter avec certains habitants des hameaux où il organise des projections. En outre, le Dernier safar développe avec subtilité deux problématiques importantes. La première concerne le cinéma algérien, qui a connu son âge d'or dans les années 1960/1970, mais qui a du mal aujourd'hui à redémarrer, coincé ainsi au point mort. La réaction des spectateurs suite à la projection de l'Opium et le bâton montre largement le besoin qu'éprouvent les Algériens à voir des films qui leur ressemble et les rassemblent. La seconde problématique que développe ce film est l'immensité d'un pays privé d'images, de sa propre image. Djamel Azizi, à travers ce carnet de voyage, met l'accent sur la difficulté d'exister dans un pays si immense, vide, mais pas encore déserté par la vie. Dans sa démarche de reproduire la réalité en images, le réalisateur a laissé quelques défauts techniques dans le Dernier safar, afin de rendre compte de cette réalité qui oppresse et à laquelle a été confronté ammi Salah. Le Dernier safar propose de regarder ce pays droit dans les yeux et de lui dire à quel point l'homme a été injuste envers lui. Il suggère également de regarder le passé du cinéma algérien, sans le glorifier, et de suivre l'exemple. Le documentaire incite, dans un point de vue plus personnel, d'aller au bout de son destin, et de n'abdiquer sous aucun prétexte. Djamel Azizi, malgré le peu de moyens, a pourtant vu son film projeté.