Si le Festival du théâtre maghrébin de Constantine a permis de découvrir (ou de redécouvrir) des acteurs de talent, il a aussi révélé - une fois n'est pas coutume - un homme de «l'ombre» sans qui la dernière production du TRC Tartuffe ne serait pas ce qu'elle est: Aïssa Reddaf. Devenu scénographe par «nécessité de service», autodidacte, comédien de carrière, peintre par vocation, adaptateur par «ingurgitation» du répertoire de Molière, poète à ses temps perdus, c'est un vrai magicien de la scène qui n'a plus détaché ses semelles des planches, depuis qu'adolescent, il s'y est pris les pieds. Reddaf développe très tôt un regard scrutateur, fixé sur les gens et sur la rue. L'aventure au Crac (Centre régional d'animation culturelle) lui permet de suivre des cours de Maître Coulon, conférencier en théâtre, et l'étincelle prend. Au contact de Hachemi Noureddine et de son épouse Liliane, scénographes du Berliner Ensemble (théâtre fondé par Brecht), il apprend encore et La Poudre d'intelligence de Kateb Yacine «explose», en 1971, les capacités scénographiques de Aïssa Reddaf. Un talent peaufiné par une formation académique inachevée aux Beaux-arts de Constantine, qui laisse une brèche dans le coeur de l'artiste. «Heureusement, dit-il, colmatée aussitôt par une rencontre providentielle», qui l'a associé à Benguettaf et Agoumi, signant par-là son lancement dans le monde de la scénographie professionnelle. «Agoumi a cru en moi et m'a confronté à mes capacités», déclame-t-il de sa voix de baryton. De Faust et La princesse chauve, du Marocain Berrechid, à Kazmane (le nain), une adaptation des Fables de La Fontaine, récompensée du prix spécial du Festival méditerranéen du théâtre pour enfants, organisé en 2004 en Tunisie, «Aïssa Reddaf a pu asseoir les bases scénographiques du théâtre pour enfants», témoigne Hassan Benaziez, metteur en scène au Théâtre régional de Constantine (TRC). Composant avec tout, de la couleur, aux textures, à la lumière, exigeant plus de lui-même que des autres, toujours en quête de nouveau, le fils de Rahbet Es-Souf se distingue par une minutie poussée à l'extrême. Il fouille dans les textes comme il explore la cité du Vieux Rocher à la recherche d'une pièce ou d'un objet qui puisse conférer ce «plus» d'originalité, voire d'authenticité à «sa» pièce, reconnaissent ses pairs. Récipiendaire de six prix nationaux de scénographie, ce sexagénaire rend grâce à la richesse du patrimoine du terroir qui a nourri son génie, lui donnant à utiliser, au gré de ses inspirations pour perpétuer le rêve, le bendir, le m'dhal (chapeau de paille), les produits en terre cuite et autres ombres chinoises. Comme par justice immanente, il fut récompensé pour l'originalité de son oeuvre dans Def El Goul oua El Bendir de Tayeb Dehimi (Prix spécial du Festival du théâtre expérimental au Caire 2005). Mettant à contribution ses connaissances techniques et artistiques, ainsi qu'une expérience de plus de 45 ans de bons et loyaux services, le scénographe cadre l'action, crée l'atmosphère visuelle, influence les déplacements des comédiens et leurs rapports physiques, comme il l'explique humblement à Seïf El Islam Boukerrou, benjamin des comédiens du TRC qui, par bonheur, a trouvé dans l'encadrement du TRC une expérience solide prête à servir les nouveaux et à épauler les plus anciens. Reconnu pour son génie dans la disposition de l'espace scénique, le scénographe du TRC est «l'allié de tous», de Bordj Bou Arréridj à Batna, de Annaba jusqu'à Oran.