La Turquie se veut facilitateur de paix au Proche-Orient et dans les Balkans, et souhaite de bonnes relations tant avec l'Occident qu'avec l'Orient. Critiques contre Israël, plaidoyer pro-iranien, attaques contre le pouvoir kémaliste ou l'armée: le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan est à l'offensive, à l'extérieur comme à l'intérieur, suscitant des interrogations sur le cap qu'il fixe à la Turquie. «C'est Israël qui est la principale menace pour la paix régionale», a déclaré M.Erdogan mercredi à Paris, faisant à nouveau dresser les sourcils quant aux orientations de la Turquie, pays membre de l'Otan et jadis allié stratégique de l'Etat hébreu. Tout comme lorsqu'il a réaffirmé, le même soir, son opposition à de nouvelles sanctions contre l'Iran, pays accusé par les occidentaux de vouloir fabriquer l'arme nucléaire et avec lequel Ankara a tissé des liens étroits. Tenant ce discours depuis plus d'un an, le gouvernement conservateur à Ankara a, parallèlement à cette prise de distance vis-à-vis d'Israël, largement renoué avec le monde arabe, dont la Syrie. Et les diplomates occidentaux ont encore en mémoire la sortie de M.Erdogan, début novembre, à propos du président du Soudan. Omar El Bechir n'est pas responsable des massacres au Darfour, avait-il dit, car «aucun musulman ne peut perpétrer un génocide». M.Erdogan tourne-t-il le dos aux Occidentaux? La Turquie se veut facilitateur de paix au Proche-Orient et dans les Balkans, et souhaite de bonnes relations tant avec l'Occident qu'avec l'Orient, corrige Deniz Zeyrek, du journal Radikal. Ankara partage d'importants intérêts avec son allié américain et n'a pas changé de cap, même si la Turquie affiche une différence qui déroute. «A chaque fois que Washington est brouillé avec Israël, comme récemment au sujet de la colonisation, Erdogan se presse de critiquer Israël», relève M.Zeyrek. Quant à l'Iran, il est persuadé que le moment venu, la Turquie, membre non permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, votera avec les Occidentaux. «Il y a des limites à l'émancipation turque. Erdogan est un pragmatique», affirme le journaliste. La politique turque a sa logique, et Ankara affirme avoir «le visage tourné vers l'Ouest, sans tourner le dos à l'Est», ancienne zone d'influence ottomane, même si son économie regarde vers l'Europe. Les récents choix diplomatiques qui déplaisent à l'Ouest s'expliquent-ils par la lassitude des Turcs, face au manque de progrès dans les négociations d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne? «Pas si simple», répond Sedat Laçiner, du centre de réflexion USAK. «Les ambitions multi-dimensionnelles de la diplomatie turque sont avant tout marquées par une volonté mercantiliste», affirme l'analyste. C'est à cette fin que la Turquie a renoué avec les pays musulmans de la région, avec une politique active de suppression des visas. Quant à la politique intérieure menée par M.Erdogan, elle suscite là aussi interrogations et spéculations. Le pouvoir prépare une révision de la Constitution, qui vise essentiellement à affaiblir la haute magistrature, réputée hostile à M.Erdogan. «A bien des égards, si cette révision est adoptée, c'est une partie importante des positions encore occupées par l'establishment laïque qui sera anéantie», note l'analyste français Jean Marcou. Le coup le plus spectaculaire contre le camp laïque a été porté fin février avec une vaste campagne d'arrestations de militaires de haut rang, en activité ou à la retraite, accusés de complot contre le gouvernement. L'armée turque, qui se veut la gardienne de la laïcité et qui a renversé quatre gouvernements en 50 ans, y a perdu gros en prestige. Face à ces développements, l'opposition dénonce l'avènement d'un régime autoritaire, tandis que les observateurs étrangers continuent de s'interroger: M.Erdogan a-t-il un «emploi du temps caché», l'objectif inavoué d'islamiser la société turque? «Il semble logique que le pouvoir veuille contrôler l'armée», tempère Sedat Laçiner, en se demandant comment un quelconque gouvernement peut survivre sous la menace de complots.