La victoire du nationaliste Dervis Eroglu à l'élection présidentielle dimanche dans la partie turque (nord) de Chypre est susceptible de fragiliser les difficiles négociations en cours pour mettre fin à 36 ans de division sur l'île, estiment les experts. «Avec M.Eroglu aux négociations, un temps précieux risque d'être perdu même s'il veut continuer» de négocier, a commenté le politologue chypriote-turc Ahmet Sözen. Cet universitaire qui dirige un centre d'études pense que le nouveau dirigeant de la République turque de Chypre-Nord (Rtcn) aux convictions indépendantistes, n'a d'autre choix que de suivre les consignes d'Ankara. «Si la Turquie dit qu'elle favorise la poursuite des négociations inter chypriotes, alors M.Eroglu est obligé de continuer dans cette voie», explique-t-il. Isolée sur la scène internationale, la Rtcn n'est reconnue que par la Turquie. L'échec du processus de réunification à Chypre aurait en effet des répercussions immédiates sur les négociations d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, déjà en difficulté en raison notamment du problème chypriote. Pour M.Sözen, la victoire de M.Eroglu ne devrait pas mettre fin à 19 mois de négociations entre le «président» sortant de la Rtcn Mehmet Ali Talat et le président chypriote (grec) Demetris Christofias mais pourrait ralentir le processus. M.Eroglu a recueilli dès le premier tour 50,38% des suffrages exprimés contre 42,85% pour Mehmet Ali Talat. Les élections législatives prévues en 2011 en Turquie auront aussi un impact sur le «climat» des pourparlers, selon lui. «Aucun parti au pouvoir ne souhaiterait pendant la campagne électorale être perçu comme la partie qui cède» sur la question de Chypre, ce qui renforcera la main d'un Eroglu intransigeant, commente M.Sözen. M.Eroglu a pourtant promis de poursuivre le processus de paix, sous l'égide de l'ONU. «Personne ne doit penser que je quitterai la table de négociations (...) le processus de pourparlers va continuer», a-t-il indiqué dimanche. Il a ajouté qu'il s'engagerait dans un «étroit dialogue avec la mère-patrie», la Turquie, dont 35.000 soldats sont déployés dans la partie nord de l'île. Ankara n'a pas caché sa volonté de voir aboutir les discussions pour mettre un terme à la partition de Chypre, dans la perspective de ses ambitions européennes. Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a ainsi souhaité dimanche soir que la Rtcn continue à négocier la réunification. Et son ministère des Affaires étrangères a souligné dans un communiqué les «rapports spéciaux» unissant la Turquie et la Rtcn en louant la volonté d'Eroglu de négocier, une mise en garde à peine voilée, selon les observateurs. «Je ne pense pas que M.Eroglu campe sur les positions que l'on connaît», a commenté Niyazi Kizilyürek, un politologue chypriote turc. «Eroglu défend l'idée d'une île à deux Etats, ce qui ne sera jamais accepté par la communauté internationale ni par la partie chypriote grecque», a-t-il analysé. De l'avis général, la désillusion vis-à-vis des négociations de paix a été cruciale pour la victoire d'Eroglu. Les résultats des discussions ont laissé de nombreux chypriotes turcs amers. Le résultat du vote «n'est pas forcément un réflexe nationaliste», mais un message aussi à la partie grecque de Chypre qui traînait des pieds, estime un commentateur du journal turc Hürriyet. Chypre est divisée depuis 1974 et l'intervention militaire turque dans le nord après un coup d'Etat fomenté par des nationalistes chypriotes grecs soutenus par Athènes et visant à rattacher l'île à la Grèce.