Les Unes des journaux, francophones surtout, reflétaient hier l'inquiétude sur la capacité des deux grandes communautés d'un pays coupé en deux à vivre ensemble. La crise politique qui ébranle la Belgique repose avec acuité la question de la survie de ce pays dans sa forme actuelle, avec des visions de plus en plus éloignées entre francophones et Flamands néerlandophones tentés par le séparatisme. «Il est temps de se demander comment vivre ensemble en Belgique dans les prochaines années. Il faut oser se poser la question», a estimé hier sur la radio publique Rtbf le ministre des Finances, Didier Reynders, président d'une des grandes formations politiques francophones, le parti libéral MR. L'humeur de la presse est au diapason. «Bye, Bye Belgium», «Ce pays a-t-il encore un sens?»: les unes des journaux, francophones surtout, reflétaient hier l'inquiétude sur la capacité des deux grandes communautés d'un pays coupé en deux à vivre ensemble. Sur un dessin de presse, la Belgique ne tient plus qu'à un fil et un sparadrap, un fossé béant se dessinant entre la Flandre néerlandophone au nord et la Wallonie francophone au sud. La énième crise provoquée par le départ de la fragile coalition gouvernementale du parti libéral flamand - en raison d'un conflit sur les droits linguistiques des francophones vivant dans la banlieue flamande de Bruxelles - pourra peut-être encore être surmontée. Le roi Albert II s'est donné le temps de la réflexion avant d'accepter la démission du gouvernement. Il veut le mettre à profit pour pousser les partis à trouver in extremis un accord sur les droits des francophones que la Flandre veut remettre en cause, le dossier dit «Bruxelles-Hal-Vilvorde». Mais la confiance entre les deux camps est à son plus bas étiage. Les partis néerlandophones sont prêts à discuter mais avec «le pistolet sur la tempe» du camp adverse, ainsi que le résumait jeudi un responsable politique francophone. Ils menacent en effet, faute d'évolution rapide, de passer en force en votant de manière unilatérale la fin des «privilèges» francophones à la Chambre des députés dès le 29 avril. Une tentative en ce sens de leur part jeudi n'a été bloquée que par l'intervention du roi Albert II. C'est ce «coup de force flamand», ainsi que le qualifie le quotidien La Libre Belgique, qui a surtout choqué les francophones. «On se rend compte qu'on est pas loin de la crise de régime», a averti hier la présidente du parti centriste CDH, Joëlle Milquet. Fondamentalement, la Belgique en crise perpétuelle donne l'impression de se déliter lentement. Depuis les dernières élections législatives de juin 2007, les gouvernements naissent et meurent à un rythme effréné, tandis que francophones et néerlandophones se tournent le dos. Le pays est coupé par des frontières linguistiques de plus en plus étanches, derrière lesquelles les francophones ne parlant pas le néerlandais ne sont plus les bienvenus en Flandre. Les partis politiques sont scindés depuis les années 1970, la lecture des médias des deux communautés donne souvent le sentiment d'avoir affaire à deux pays distincts. La région septentrionale du pays réclame une autonomie croissante, alors que les compétences fédérales ont déjà été réduites à la portion congrue, pour aller vers un modèle «confédéral». Selon un récent sondage, 40% environ de l'électorat flamand soutient même des partis favorables à l'indépendance. La Belgique a montré dans le passé des capacités insoupçonnables à surmonter ses crises à répétition. Mais, cette fois, l'heure paraît grave. «On croit de moins en moins à la survie de la Belgique à moyen ou long terme», estime Pierre Vercauteren, politologue à l'université de Mons.